Ernani de Verdi façon puzzle psychologique épuré à La Fenice de Venise
La lecture du metteur en scène Andrea Bernard place au centre la question de l’honneur, avec la peur du jugement des autres. L’intention et la direction du régisseur substitue la fidélité à la parole donnée, par la fidélité à l'image dégagée. Andrea Bernard explique ainsi que derrière l’amour des trois personnages se cachent en réalité leurs propres ambitions : vengeance pour Ernani, ambition politique pour Carlo, autosatisfaction pour Silva.
Renforçant d’autant cette clarté des personnages, le décor sans localisation historico-culturelle précise représente les ruines de la mémoire avec des pièces géométriques qui montent et descendent comme les parties d’une psyché en puzzle. La scénographie d'Alberto Beltrame donne l’impression d’un non lieu, neutre, sans ciel, sans lumière de jour ou de nuit : rendant les personnages hypnotiques-magnétiques. C’est par une projection en fond de plateau que sont représentés Ernani enfant, le château incendié par le roi Philippe, la mort du père. Seuls points de repère, les costumes traditionnels d'Elena Beccaro apportent leurs couleurs au tableau et au drame.
Les couleurs sont aussi celles musicales et vocales du chœur qui assure l’entrée d’un refrain énergique. Les nombreuses attaques préparées avec la fraicheur du phrasé par Alfonso Caiani, déploient agilité et puissance (mais avec quelques désorganisations de dernière minute).
La direction musicale de Riccardo Frizza est sans ambiguïté : visant le forte, ou le fortissimo (même en venant directement du piano). Les références et signatures stylistiques verdiennes se mêlent en fanfares -vers de furieuses cymbales- et sans temps morts (ou calmes). Heureusement, les voix solistes réunies sont puissantes et suivent le chef (mais les voix peuvent être d'autant moins modulées).
Dans le rôle-titre, Piero Pretti déploie d'abord un amour mélancolique mais qui semble d'emblée paré à l'action. En effet, ses intonations et le large éventail de sa tessiture affirment bientôt la sécurité de ses moyens vocaux, tenaces jusqu'au bout du cyclone des événements et de la partition. Ses aigus retentissants le font remarquer, tout comme son énergie dans l'andante (allant) et en ensembles.
Anastasia Bartoli traduit l’anxiété d'Elvira et l’inévitabilité du drame par son expressivité sentie, et dès la première virtuosité de son air, tout en longueurs de trilles et de colorature (jusqu’au pianissimo). Fille de la balle (et de Cecilia Gasdia elle aussi chanteuse d'opéra et désormais à la Direction des Arènes de Vérone), elle affirme sa verve vocale en s'appuyant sur l'épaisseur de son timbre, en se déployant par attaques lumineuses, entre élégance et lyrisme mordant. À l'aise aussi bien dans les arias romantiques que dans les ensembles, elle déploie les émotions de cette musique dans un crescendo jusqu'au finale.
Ernesto Petti propose une vision très noble du roi Don Carlos, conservant la souplesse de sa parole musicale faite de legato, jusqu'au mysticisme et au pardon. Michele Pertusi (Don Ruy Gomez de Silva) parvient à prendre un ascendant sur l'orchestre, de sa voix de lame profonde aux aigus tranchants, aux phrasés précis, calculés, calibrés.
La soprano Rosanna Lo Greco est sûre de sa technique et douceur en Giovanna. En Jago, jeune basse, Francesco Milanese maintient la tension émotionnelle appréciable du timbre avec une présence scénique confiante. Cristiano Olivieri (Don Riccardo) définit ses accents dans ses interventions ponctuelles, participant à la dynamique globale.
Le public fait un succès à cette représentation qui, avec un tel théâtre rempli, contribue d'ailleurs à une bonne cause : cette soirée fait partie d'une série de représentations à travers le pays dont les recettes doivent servir à racheter la Villa Verdi à Sant'Agata, mise aux enchères et sur laquelle l'État italien a un droit de préemption.