Le Bourgeois gentilhomme fait son retour en comédie-ballet à l’Opéra Comique
Le Covid-19 avait eu raison des représentations prévues en 2020 à l’Opéra Comique et le public parisien est visiblement heureux de pouvoir enfin découvrir cette version telle que conçue en comédie-ballet du Bourgeois gentilhomme, fruit d’une collaboration marquante entre Molière et Jean-Baptiste Lully, créée en 1670. Tout en respectant le texte, le comédien Jérôme Deschamps s’inspire de cet univers baroque pour y apporter quelques touches contemporaines.
Le décor sobre est fait de trois grands murs, les entrées se font par des portes à double-battant rappelant davantage des placards à balais. Seule une entrée fermée d’un rideau et surmontée d’un balcon se détache par sa couleur bleue, avançant au son d’un vieil enregistrement du Te Deum de Charpentier pour annoncer le risible maître des lieux. Dans ce décor plutôt minimaliste et peu enchanteur, comédiens, chanteurs et danseurs usent d’effets comiques fort appréciés du public. Quelques accessoires issus de notre époque, comme un balai moderne ou des tranches de jambon emballées (directement extraites d’un porc fraîchement offert pour le banquet de l’acte IV) participent à ces décalages. Les séduisants costumes signés Vanessa Sannino proposent de forts contrastes entre les tenues noires et blanches ou le sobre de ceux qui servent, et ceux volontairement trop colorés de Monsieur Jourdain et de Dorante.
Jérôme Deschamps incarne lui-même Monsieur Jourdain avec la naïveté et le ridicule emblématique du personnage. Ridicule qui est également présent chez Dorante (le comédien Guillaume Laloux) mais avec davantage de finesse, sachant allier les traits manipulateurs et non moins risibles (de même lorsqu’il joue un Maître de danse précieux, amusant et sans trop d’exagération). Josiane Stoleru s’affirme en Madame Jourdain comme seul personnage sensé de la pièce, Vincent Debost en hilarant Mufti déguisé.
Les rôles plus seconds s'expriment aussi, avec présence élégante pour Pauline Deshons en Dorimène, Sébastien Boudrot également en élégant Maître de musique et tailleur expert en flatteries, Pauline Tricot (Nicole) avec une présence active quoique peu fréquente dans cette maison infestée de souris (malgré son zèle, elle reste une impertinente et indiscrète servante, d’un large rire qui a de quoi blesser l’ego de son maître).
Jean-Claude Bolle Reddat campe un vieux Maître de Philosophie qui amuse par son orgueil à peine caché et sa désillusion face à la bêtise de son élève (avec lequel il partage néanmoins une certaine complicité). L’incarnation en jeunes amants pleurnichards et inconstants de Pauline Gardel en Lucile et Aurélien Gabrielli en Cléonte est volontairement légèrement agaçante, le second apportant une pointe d'accent du Sud avec un timbre aigu peu charmeur.
Les intermèdes chantés ne sont pas légions mais offrent de belles petites scènes qui s’intègrent au théâtre. Le dialogue en musique de l’acte I, imaginé entre une bergère et un berger comme dans un petit théâtre, souffre toutefois d’être relégué en fond de décor et en surplomb, n’aidant pas la projection des voix. Les timbres hétérogènes manquent de justesse, ne pouvant s’appuyer sur la basse continue un peu trop éloignée.
Heureusement, les chanteurs font aussi partie de l’action et interviennent également sur la scène, participant aux joyeuses danses de la cérémonie turque, hilarante scène en savoureux sabir italo-ottoman. La basse Jérôme Varnier affirme sa voix profonde et présente, surtout lors de son intervention en turc lors de la cérémonie. La soprano Sandrine Buendia déploie son timbre aux graves soyeux et sa gestuelle souple, malgré les interruptions intempestives d’un Monsieur Jourdain inattentif. Nile Senatore en haute-contre déploie une voix plutôt nasale, sur le fil du changement de registre, avec un phrasé sensible au comique des situations. Le ténor Lisandro Nesis fait entendre une voix assez chaleureuse et également claire, avec une once de rondeur qui assouplit ses lignes (qui mériteraient de gagner en présence).
Les Musiciens du Louvre et son Académie savent prendre un tempo lent tout à fait à propos pour la noblesse de certaines pages. Le jeune violoniste Théotime Langlois de Swarte qui devait diriger la production en alternance avec Marc Minkowski se voit confier l’ensemble des dix représentations. Il emporte la phalange de son instrument, avec une énergie débordante rehaussant sa maîtrise et sa sensibilité. La dimension de sa gestuelle dépasse néanmoins grandement son impact lorsqu’il laisse son violon de côté.
Le public, après avoir ri de nombreuses fois et de bon cœur, applaudit chaleureusement l’ensemble de la distribution, avec une mention toute particulière pour le comédien-metteur en scène et le jeune chef-violoniste.