Happy end tragique pour Luisa Miller à Angers et Nantes
Angers et Nantes, en coproduction avec Rennes et Erfurt en Allemagne (que dirige le metteur en scène du soir, Guy Montavon) représentent Luisa Miller de Verdi, opus composé en 1849, soit quatre ans après Alzira (vu à Liège en novembre et dont l’écriture est encore hésitante) mais un an avant Stiffelio (donné récemment à Dijon et dans lequel le style verdien est déjà affirmé) et deux avant Rigoletto : si la trilogie populaire à venir est déjà en germes, c’est bien un opus déjà abouti que compose alors Verdi, avec ses propres audaces (le quatuor a cappella, ici bien réglé mais un peu scolaire dans son interprétation) et sa propre force dramaturgique. Le livret, inspiré de Schiller et rédigé par Salvadore Cammarano, a ses forces (l’épaisseur et l’évolution des personnages, la force des situations) et ses faiblesses (la fidélité de Luisa au serment que lui a extorqué Wurm et qui conduit au dénouement tragique).
L’ouvrage étant rare, le metteur en scène Guy Montavon se tient à une vision fidèle de l’intrigue, dans laquelle les enjeux sont explicites et les évolutions lisibles. Son esthétique reste cependant assez moderne et épurée. La scénographie d’Éric Chevalier s’appuie sur des panneaux coulissants qui construisent différents espaces, des accessoires achevant de les caractériser. Un léger manque d’opacité divulgâche certes la surprise : ces paravents se révèlent translucides et laissent apparaître par transparence la silhouette de Wurm, seul personnage uniformément mauvais, qui rôde et hante le plateau, toujours caché pour relever une confidence, éminence grise et grisonnante qui noue le sort funeste de tous les personnages (le sien compris, sans doute). Chaque accessoire est signifiant : par exemple, Walter puis Wurm jouent devant un plateau d’échec, comme s’ils maîtrisaient l’avenir par leurs ruses et leurs manipulations, mais tout deux finissent par renverser les pions : aucun des deux n’obtiendra ce qu’il voulait au début, ils auront simplement détruit les vies qui leur étaient chères.
Marta Torbidoni interprète le rôle-titre pour ses débuts en France. La soprano dispose d’une voix épaisse et très lyrique, au timbre pur, dont elle parvient à moduler le vibrato, l’affinant notamment dans les vocalises agiles, et interprétant son rôle avec nuance. Gianluca Terranova interprète Rodolfo d’une voix au timbre méditerranéen, très coloré. Ses aigus d’abord aisés, semblent rapidement fatiguer face à ce rôle imposant, ce qui l’oblige à couvrir davantage sa voix, jusqu’à l’engorgement. C’est ainsi sa technique qui lui permet de tenir jusqu’au bout, sans tricher, compensant théâtralement cette limite musicale. Federico Longhi interprète Miller, le père de Luisa, d’une voix de baryton claire au vibrato imposant. Sa voix immense portée par un souffle long apporte de la force mais prend parfois le risque du déséquilibre avec ses partenaires (il parvient même à couvrir l’orchestre l’espace de quelques instants). Marie-Bénédicte Souquet est une Laura tout de noir vêtue. Ses rares mais subtiles interventions sont exécutées d’une voix fine mais ferme au timbre cristallin et au vibrato bien présent.
Cristian Saitta donne au Comte Walter (le père de Rodolfo) une autorité froide qui correspond tout à fait à sa basse sombre, sèche et mate. Il sait pourtant apporter de la suavité à ton timbre dans les passages où son personnage gagne en humanité, par amour paternel ou par peur des conséquences de ses crimes passés. La mise en scène fait de Federica, incarnée par Lucie Roche, une femme se déplaçant avec difficulté, à l’aide de deux cannes, ce qui impose au personnage une fragilité que sa noblesse ne peut compenser, apportant une complexité supplémentaire à ce personnage jaloux mais digne. Sa voix reste voluptueuse sur toute la tessiture. Elle y fond des graves de braise, menaçants, et y sculpte des aigus vibrants, gages de sincérité. Alessio Cacciamani incarne un Wurm en retrait, observateur, calculateur, d’une basse relativement claire mais riche.
Pietro Mianiti dirige l’Orchestre National des Pays de la Loire d’une gestique nerveuse mais précise, sa baguette fouettant l’air pour impulser la vivacité de son interprétation. Il attaque l’ouverture au pinceau fin avant de styliser au fusain la ligne mélodique entêtante de cette pièce orchestrale en variant les tempi et les nuances. Il rattrape également rapidement le Chœur d’Angers Nantes Opéra, dont les attaques sont imprécises avant de se stabiliser. Il déploie alors sa puissance dans une interprétation expressive.
Tels Roméo et Juliette, les deux amants meurent à cause d’un quiproquo (mais Rodolfo a ici le temps de reprocher leur mort à son père). Mais ils le font ici en restant debout, souriants (car rassemblés dans la mort) des pétales de fleurs tombant des cintres, dans une sorte de "happy end" tragique. Le public enthousiaste applaudit chaleureusement l’ensemble de la distribution et de l’équipe créative, les rappelant à de nombreuses reprises (galant, Gianluca Terranova échange d’ailleurs de place avec Lucie Roche, gênée dans ses déplacements par un fauteuil présent à l’avant-scène).