Nadine Sierra et Pretty Yende chantent l’amour à la Philharmonie
Pretty Yende et Nadine Sierra illuminent ce soir la Grande Salle Pierre Boulez de leurs deux voix de soprano. Le concert débute par une première partie dédiée à l’opéra italien (du bel canto à Verdi) et se poursuit, après l’entracte, par un programme plus éclectique allant de l’opéra français, avec Delibes et Offenbach, à la musique américaine avec Victor Herbert et Bernstein. La salle est presque comble et le public récompense chaque aria d’applaudissements et d’exclamations exaltés.
Le concert débute avec l’ouverture de La Perle du Brésil de Félicien David, laissant la part belle à l’orchestre avant l’entrée des deux divas. L’ensemble Les Frivolités Parisiennes se distingue par l’expressivité dans ses couleurs, particulièrement vivantes, et son interprétation à la fois précise et toujours engagée. Il prêtera même ses voix pour simuler une percée de chœur masculin répondant au « Art is calling for me » (Herbert) de Pretty Yende, et répondant tout entier dans « I feel pretty » de West Side Story.
Giacomo Sagripanti participe à cette vigueur qu’il commande lui-même avec une grande part de droiture, tout en laissant à l’orchestre la possibilité de démontrer son expressivité. Il déploie la même énergie, sans s’arrêter d’un bout à l’autre du concert et cette rigueur certaine permet de souligner tout ce mouvement galopant qui rythme la soirée. Cabotin, il participe lui aussi à l’interprétation scénique, répondant par quelques mimiques au jeu des deux cantatrices et s’arrêtant lui-même pour venir “remonter le mécanisme” de Pretty Yende, alors qu’elle reprend l’air de la poupée Olympia dans Les Contes d’Hoffmann. Il finit par s’installer au piano pour le bis, au début d’As time goes by d’Herman Hupfeld, présentant un jeu aussi souple et emballé que précis, avant de reprendre la baguette auprès de l’orchestre.
Drapée dans une longue robe blanche, Nadine Sierra fait son entrée la première (en Norina de Don Pasquale). La soprano dévoile, au cours du concert, une voix d’une souplesse et d’une amplitude remarquées et sans effort visible. Les aigus sont clairs et bondissants, l’aisance se déploie d’une note à l’autre avec entière maîtrise et naturel. Le timbre est riche de nuances particulièrement chaudes qui pétillent joyeusement dans le bel canto (surtout en Traviata). Elle apparaît, de plus, solaire, rayonnante et elle aussi pleine d’énergie d’un bout à l’autre de la soirée.
Pretty Yende n’est cependant pas en reste, bien qu’apparemment plus timide au début du concert. Elle entre sur scène vêtue d’une ample robe bleue à la longue traîne qu’elle remet, redresse ici et là, alors qu’elle reprend La Fille du Régiment, dans un français clair et solide, et termine son aria par un petit salut militaire qui fait rire toute la salle – de façon générale, c’est bien elle qui reçoit et s’amuse dans les rôles plus comiques, avec également Offenbach et Herbert. Elle n’est cependant pas en reste pour les parties plus sérieuses et offre une interprétation pleine de douceur et de délicatesse de La sonnambula où la voix semble détailler du bout du pinceau chaque nuance, reprendre et redessiner chaque trait de chaque mot, chaque note. La soprano fait montre par ailleurs d’une voix lumineuse à la ligne vibrante, parfois un peu plus serrée que Nadine Sierra, mais non moins riche dans la palette et débordant du même enthousiasme.
En duo, les deux voix vibrent ensemble et les nuances de l’une viennent compléter les nuances de l’autre, dans un travail de balance et surtout, d’équilibre – aucune des voix ne domine l’autre. La rigueur et l’exactitude sont là aussi de mise, en particulier dans le « Duo des fleurs » de Lakmé, où se distingue notamment Pretty Yende, dont la voix s’adapte plutôt bien aux exigences plus graves du rôle de Mallika. Les deux sopranos dégagent de chaque morceau un sentiment intense d’amitié, presque d’amour et se jettent l’une dans les bras de l’autre à la fin. En bis, elles chantent ensemble La Vie en rose et As time goes by, et terminent avec Joyeux anniversaire, repris en écho par le public, en l’honneur de Pretty Yende.
Les applaudissements ne se tarissent pas, le public est conquis (un spectateur s’exclame même « You are pretty ! » depuis son siège) et c’est sur ces éclats que le concert s’achève et que chacun s’en retourne dans la nuit froide de Paris.