Pelléas et Mélisande font tournoyer la Maison ronde
Version de concert oblige, l'œuvre est ici concentrée sur la relation entre l'orchestre, les chanteurs et le public. Mais la scénographie se fait ici fortement remarquer dans son absence : les personnages n'interagissent pas et répètent leurs déplacements de la chaise au-devant de la scène, partitions tenues à bout de bras.
Néanmoins, l’Orchestre National de France aux sonorités si tangibles, presque organique, constitue le voile épais sur lequel se posent et se projettent -sous lequel aussi se perdent parfois- les voix des chanteurs. Par-dessus tout, l'écoute de la phalange instrumentale se tisse dans une communion allant jusqu'au silence. Sous la direction ample mais non moins précise de Susanna Mälkki, les cordes, les vents et les percussions se déploient, passant de la tonitruance fougueuse au murmure amoureux avec une facilité remarquée.
Le dialogue des textures a été nettement travaillé avec le petit chœur de marin déployant son inquiétante étrangeté.
Des solistes, Antoinette Dennefeld (Mélisande) se détache par la justesse de sa voix et de son ton, mais aussi par son jeu qui, même restreint par la sobriété de la scène, sait émouvoir lorsqu'elle s'éteint dans un murmure, assise sur une chaise. D'autant qu'elle aura su donner la puissance de son mezzo-soprano, autant dans les graves que dans les aigus, d’un souffle et d’une articulation irréprochables lui valant ses applaudissements.
Impressionnant dans ses graves, le baryton Allen Boxer incarne par la voix Golaud en chasseur viril emporté par une jalousie fougueuse. Ses accès faciles vers ses notes plus aiguës enrichissent son personnage, d'une fragilité même, très travaillée, accentuée par un timbre chaud et une technique habile.
Frère-ennemi, le personnage de Pelléas déploie le lyrisme du ténor Ben Bliss, oscillant entre badinerie innocente, romantisme plus dramatique et culpabilité grandissante. La forme du récital et cet équilibre des tessitures met en exergue la puissance de ses aigus, la richesse de sa technique et son sens du rythme. L'amoureux transi au timbre chaud fait honneur au verbe de Maeterlinck.
Le personnage d’Arkel, interprété par Alastair Miles, brille par la puissance délicate de ses basses malgré un manque de souffle patent. Geneviève offre les aigus justes de la mezzo Nadine Weissmann, mais leur puissance lyrique et le texte souffrent également d'un souffle court.
C'est le soliste de la Maîtrise de Radio France Joachim Semezies qui chante Yniold, et brille par la clarté de sa voix au timbre angélique malgré quelques petites erreurs techniques que son interprétation consciencieuse fait vite oublier. Association étonnante des voix, mais aussi des tailles, son dialogue avec Patrick Bolleire (interprète du Berger et du Médecin) témoigne de son potentiel grandissant. Ce dernier se démarque également par le rythme de ses paroles, toujours bien amené dans les questions-réponses si caractéristiques de cette œuvre, et par la justesse (dramaturgique aussi) de ses notes les plus graves.
Ce concert se fait ainsi peinture impressionniste, évoluant entre irréel et angoissant, entre brume et couleurs superposées, de remous en remous de salves mélodiques toujours plus organiques, toujours plus fatales. En témoignent le silence suivant l’évaporation des dernières notes, suivi par un tonnerre d’applaudissements.