Rita de Donizetti, vaudeville sans porte qui claque à Tours
C’est maintenant une habitude à l’Opéra de Tours : le public est accueilli par des slogans, des propositions de pétition, un mot syndical et même 10 minutes de grève (qui pose au demeurant peu de problème avec cette production d’un ouvrage court). L’objet de ces revendications, que nous décryptions dans notre récent article sur le marasme économique dans lequel le secteur de l’opéra se trouve plongé, est double : l’absence de revalorisation des subventions attribuées à l’Opéra depuis des décennies (l’inflation rognant petit à petit les marges de manœuvre de l’institution), et la précarité des musiciens, qui sont ici employés à la production. La région Centre Val-de-Loire est d’ailleurs la seule région de France métropolitaine ne disposant pas d’orchestre permanent. Le public reste au soutien de ses musiciens, applaudissant longuement les représentants syndicaux, puis l’entrée des musiciens après les 10 minutes d’attente.
La soirée peut alors débuter, pleine de promesses. L’ouvrage à découvrir ce soir dispose du potentiel d’un petit bijou d’humour noir, avec son intrigue grinçante : une femme, Rita, bat son second mari après avoir été battue par son premier, qu’elle croit mort. Lorsque ce dernier reparaît, pensant Rita trépassée et voulant se remarier, une lutte s’engage entre les deux maris pour se débarrasser de leur femme commune. Ils jouent son sort dans des jeux de hasard, trichant pour perdre et retrouver leur liberté. Le livret de Gustave Vaëz aurait été écrit en huit jours, et cela se ressent : les dialogues manquent malheureusement de piquant et les paroles des airs, inlassablement répétées, finissent par lasser. La musique de Donizetti, écrite dans le même laps de temps, offre peu d’originalités et d’éclat, seul le dernier trio apportant une complexité bienvenue.
Vincent Boussard place l’action dans un cadre simple et chic, nu de tout mobilier mais habillé des riches costumes signés Christian Lacroix, insistant sur les symboles (les plumes, qui représentent ironiquement la douceur et la fragilité, mais aussi la liberté des oiseaux, et les parapluies, attributs de la protection). Il s’appuie sur les talents de comédien de ses trois solistes, qui buttent toutefois sur un manque criant de fluidité dans les dialogues, de longs silences entrecoupant chaque intervention parlée (lorsque Donizetti ne dicte plus le rythme) : les portes, dans ce vaudeville, sont ainsi fermées avec délicatesse et sans bruit, sans claquer. Le rythme global, dont la précision est si importante dans un ouvrage comique, en souffre.
Patrizia Ciofi incarne une Rita fauve avec sa chevelure luxuriante, crinière de lionne prête à mordre. Ses aigus agiles sonnent comme des coups de griffes au vibrato léger, qui volent avec musicalité, mais ses médiums paraissent enroués, peut-être à cause d’une indisposition non annoncée. La diction chantée valorise la présence des surtitres, certaines syllabes se trouvant dévorées.
Le jeune ténor Léo Vermot-Desroches (que nous vous conseillions déjà d’ajouter à vos favoris Ôlyrix il y a un an) brûle les planches en Pepe (le second mari), couard et maladroit. Réjoui et réjouissant, il s’appuie sur une voix très couverte aux couleurs claires et moirées et aux aigus éclatants. Il construit bien ses lignes, mais reste limité, lorsque la prosodie s’accélère, par un souffle un peu court.
Dietrich Henschel incarne Gasparo (le premier mari). Son accent est fort dans les dialogues parlés mais s’estompe dès qu’il chante. Sa voix portée sur une ligne vigoureuse, est riche en harmoniques graves, moins stable dans l’aigu.
Le chef Vincenzo Milletarì mène l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours d’une baguette agile et précise, qui pourrait parfois, pour ce type d’ouvrage, gagner encore en légèreté.
Le metteur en scène Vincent Boussard finit sur un ultime twist, comme effarouché par la noirceur du livret (qu’il considère comme misogyne alors qu’hommes et femme sont au contraire renvoyés dos à dos) : au lieu d’une fin joyeuse (Rita et Pepe se remettent ensemble, se promettant de ne plus se frapper), il tue les deux maris, laissant Rita partir heureuse (sur une reprise de son premier air) au bras d’une autre femme. Le public salue quant à lui l’ensemble des protagonistes, avec un brin de chaleur supplémentaire pour Léo Vermot-Desroches.