La Favorite de Donizetti en Version Originelle à l’Opéra de Bordeaux
Retrouvez notre compte-rendu au Festival Donizetti de Bergame
L’approche adoptée par Valentina Carrasco met la femme au cœur de l’action et des intrigues, La Favorite en premier lieu, mais aussi les anciennes favorites recluses dans « les appartements des femmes en attente » comme l’indique la metteuse en scène. Pour les incarner, elle a fait le choix de solliciter des femmes âgées mais toujours fort alertes, entre soixante et quatre-vingt-quatre ans, toutes bordelaises ou de la région. Elles interviennent ainsi à plusieurs reprises durant le spectacle, mais principalement au deuxième acte au moment du ballet, parenthèse obligée pour un ouvrage présenté à l’Opéra de Paris en cette première moitié de XIXème siècle, mais le plus souvent coupé depuis lors.
Elles ne dansent pas en tant que tel, mais habilement guidées par le chorégraphe Massimiliano Volpini durant les vingt minutes de musique (pas les plus inspirées de la partition), cette compagnie se remémore son passé dans une sorte de ballet/pantomime. Ces dames revêtent leurs anciennes parures, se maquillent un peu outrageusement, esquissent quelques pas en tutu romantique, se désolent aussi, accueillent avec bienveillance la nouvelle favorite. Lorsqu'Alphonse survient, elles se jettent sur lui prêtes à l’étouffer et le recouvrent de baisers. Cette belle performance théâtrale et cet hommage à la femme recueille les suffrages enthousiastes du public.
La mise en scène plus globalement s’avère respectueuse de l’ouvrage et réglée avec précision. La compréhension d’ensemble s’impose au sein des décors réalistes créés par Peter van Praet et Carles Berga. Les lieux de l’action -tour à tour un cloitre fermé de grilles imposantes et dominé par une Vierge en majesté à la mode espagnole, les jardins de l’Alcazar et ses grands arbres en fond de scène, le lit des nouveaux époux dominé par la Croix-, sont évoqués avec pertinence et sans ostentation. Les costumes élaborés par Silvia Aymonino mélangent les époques et se trouvent surlignés par les éclairages de belle facture de Peter van Praet.
Déjà présents à Bergame, la mezzo-soprano Annalisa Stroppa -qui remplace à Bordeaux sa collègue Varduhi Abrahamyan souffrante- et Florian Sempey retrouvent ici leur rôle respectif de Léonor de Guzman, La Favorite donc, et d’Alphonse XI Roi de Castille, son amant et faux protecteur. Annalisa Stroppa dépeint un personnage attachant et profond, comme écartelée entre son bourreau au quotidien, Alphonse, et son soupirant Fernand qui semble lui ouvrir les portes d’un avenir meilleur. La voix possède un vibrato un peu intense, mais qui ne nuit pas réellement à son interprétation générale. Outre un timbre charnu, Annalisa Stroppa fait valoir des moyens relativement larges, d’une réelle intensité, malgré un bas médium et un grave un peu atténués. Son air redoutable "O mon Fernand" et sa cabalette (petite reprise ornée) démontrent toutes ces qualités, mais le résultat pourrait être encore plus accentué car sa prononciation de la langue française n’apparaît pas encore idéale.
Pene Pati ne souffre pas de ce défaut, abordant Fernand dans un français parfaitement maitrisé et sans aucune trace d’accent. Cette voix lumineuse et fraîche, cet engagement vocal permanent à chaque instant, cette approche stylistique tout en nuances, se rattachant sans conteste au bel canto italien mais ici retraduit à l’aune du répertoire lyrique français, lui permettent de se parer d’une séduction peu commune qui enivre visiblement le public. Sa technique superlative, la beauté de ses aigus, de son mezza voce et du diminuendo, se mettent au service du personnage dont il traduit toutes les facettes.
Pour sa part, Florian Sempey incarne un Alphonse altier et autoritaire, amoureux certes mais aussi retors et peu accessible aux remords. La voix possède des couleurs profondément dramatiques et une projection incisive qui laisse toutefois peu de place à la nuance qu’il parvient tout de même à distiller avec goût lors du duo avec Léonor au deuxième acte. La présence scénique de Florian Sempey en impose tout au long de la soirée et ses altercations avec le père Balthazar constituent des moments forts, presque telluriques.
Ce dernier est interprété par Vincent Le Texier avec une sorte de voracité affichée et un sens du mot bien établi, mais aussi de franche humanité lors de ses échanges avec Fernand, ce d’une voix encore puissante au timbre un peu passé.
Sébastien Droy aborde Don Gaspar de sa voix de ténor lyrique et claire, tandis que la jeune et fraîche soprano Marie Lombard (Inès), aux jolies vocalises, peine à passer l’orchestre.
Paolo Olmi dirige l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine avec passion et un métier avéré qui ne laisse rien au hasard. Il possède le sens exact du récit et puise dans toutes les ressources de la musique de Donizetti, tout particulièrement lors des deux derniers actes, musicalement les plus accomplis. Le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux a fort à faire, notamment lors de ses interventions particulièrement ardues au deuxième acte. Bien préparé par Salvatore Caputo, il franchit l’écueil avec beaucoup d’allure et de musicalité.
Malgré la durée du spectacle (3h45), le public bordelais ne boude pas son plaisir et réserve une juste ovation à l’ensemble des protagonistes. A compter du 25 mars, Valentina Carrasco présentera à l’Opéra Bastille, avec une partie de ses collaborateurs de La Favorite, sa vision de l’opéra de John Adams, Nixon in China : un tout autre univers donc…
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