Vaudeville chapeauté et coloré à l’Opéra de Bordeaux
Dès les premières notes, se retrouve l’énergie musicale propre à Nino Rota : sautillante, dynamique, et un brin déjantée. C’est parti pour une heure quinze de gags et de situations absurdes.
Un chapeau qui sème le chaos
L’histoire suit les aventures rocambolesques de Fadinard, le jour de son mariage. Son cheval, lors d’une promenade, dévore par hasard le précieux chapeau de paille d’une dame qui était en train de folâtrer avec son amant. Cette femme est mariée à un homme très jaloux. Commence alors une quête effrénée pour remplacer le chapeau, à laquelle tous les invités du mariage de Fadinard vont prendre part. Entre rebondissements et situations improbables, ce livret complètement loufoque est typique du vaudeville français.
De la contrainte naît la créativité
Sur la scène de l’Auditorium, pensée pour des concerts et non des opéras et donc sans cage de scène ni pendrillons, Julien Duval, le metteur en scène, réussit le pari de créer un véritable univers décalé et clownesque, dans lequel ce qui importe le plus au monde est d’être couvert d’un chapeau, que l’on soit dans sa salle de bain, allongé dans son canapé, au travail ou en gala mondain. Tous les personnages demeurent à vue du public, sur une piste circulaire rouge et blanche qui évoque le cirque. La contrainte technique devient ici un atout créatif : Julien Duval, à qui a aussi été demandé de créer ce spectacle en réutilisant des matériaux et costumes déjà existants dans les stocks de l’opéra, transpose l’univers musical et joyeux de la partition de Rota en tableaux extravagants, en ayant soin que la proposition visuelle colle avec ce que raconte la musique.
Chaque tableau se distingue par des trouvailles visuelles décalées ou poétiques où tout se joue dans les détails. La course effrénée de tous ces personnages de lieu en lieu nous emmène chez une modiste, puis au milieu d’une fête chez une baronne délurée, ou encore dans la salle de bain de Beaupertuis, qui reçoit Fadinard directement dans sa baignoire fumante. Les entrées, sorties, changements de décors, sont bien rythmés, et même la machiniste qui entre sur scène pour déplacer la baignoire accorde ses mouvements et sa démarche à cet univers loufoque dont la scénographie est signée par Olivier Thomas.
À la fin, les deux jeunes mariés finissent par apparaître sur une plateforme blanche, isolés du monde, tenant un ballon en forme de cœur rouge qui les rend aussi touchants et poétiques que les figurines en sucre d’un gâteau de mariage. Chaque détail semble avoir été pensé pour surprendre et amuser le spectateur.
La musicalité de l’éclairage
Les lumières de Michel Theuil rythment le spectacle, en dialogue avec la musique, comme pour la demande désespérée de Fadinard d'obtenir le chapeau de la Baronne, où le contre-jour accentue la poésie du moment. Les effets lumineux sont intelligemment mis au service de chaque modulation musicale, se faisant tour à tour discrets ou percutants, contribuant à l’immersion du public dans cet univers pétillant et coloré.
Les costumes chapeautés
Les costumes signés Aude Desigaux font surgir des formes extravagantes : tutus transformés en collerettes, chapeaux-homards ou cha-pot de fleurs, accessoires farfelus qui plongent les personnages dans un monde visuel tout droit sorti d’un rêve burlesque. Chaque personnage arbore un style unique, comme la Barone avec sa longue robe verte et son chapeau « arbre », ou la modiste aux dix couvre-chefs empilés. Les costumes font écho au caractère enjoué de l’opéra, chaque couleur et accessoire accentuant l’esprit comique et décalé de la mise en scène.
Espièglerie et vivacité scénique
Salvatore Caputo dirige avec une énergie débordante, soulignant l’esprit espiègle de la musique. Martin Tembremande, pianiste, remplace à lui seul tout un orchestre pendant plus d’une heure de spectacle. Son interprétation brillante et agile reçoit des acclamations enthousiastes. Seul autre instrumentiste présent sur scène, le violoniste Tristan Chenevez anime depuis le milieu du plateau toute la scène de la soirée déjantée chez la Baronne.
Côté chant, Rebecca Sørensen, dans une silhouette de dessin animé avec tutu vaporeux porté en collerette, nœud énorme en tulle au-dessus de la tête et petits cœurs roses sur les jambes, incarne Elena (fiancée de Fadinard), avec des aigus délicats et légers, à la voix souple et égale des graves jusqu’aux sommets. Maria Goso (Anaide, femme de Beaupertuis) charme par son vibrato chaleureux et sa voix solidement placée, même dans les positions scéniques improbables que lui impose la mise en scène. Héloïse Derache, la modiste, qui arrive sur scène assise sur sa chaise de bureau à roulettes en faisant ses mots croisés, offre des aigus percutants et clairs. Eugénie Danglade campe une baronne exaltée, à la voix d’alto aux riches couleurs. Daniele Maniscalchi incarne Fadinard avec douceur et émotion. Ses aigus sont un peu serrés mais son timbre offre des graves nourris.
Loïck Cassin (Nonancourt, père d'Elena) se distingue par sa prestance théâtrale, sa voix large, et son potentiel comique dans les chorégraphies, tandis que Jean-Pascal Introvigne (Beaupertuis) impressionne par une voix puissante et bien placée de basse, hilarant dans sa baignoire fumante avec sa charlotte jaune sur la tête.
Les autres rôles, comme celui de l'amant Emilio interprété par Jean-Philippe Fourcade et de l'oncle sourd Vézinet par Mitesh Khatri, apportent de la fraîcheur à cette farce.
Les (autres) artistes du chœur, quant à eux, interprètent avec une joie communicative les invités de la noce. Les ensembles sont précis et offrent collectivement une belle présence scénique, mais l’ensemble reste un peu en dessous de l’enthousiasme jubilatoire attendu en cette première.
La cohérence entre musique, décors, et costumes soutient un spectacle drôle et vivifiant, auquel le public répond avec enthousiasme. Malgré le regret d’un accompagnement restreint au piano, l’ensemble trouve sa place dans l’esprit d’un opéra buffa enlevé et festif, et le public bordelais réserve aux artistes un accueil chaleureux.