L’Opéra National du Rhin réinterprète La Voix humaine
Toute l’action s’articule dans une chambre à coucher, les tons donnés d’une pièce décorée par Alex Eales sont un mélange subtil de détails, décorum du lit, objets divers et variés du quotidien contemporain, et de simplicité, voire d’apparence de pauvreté, qu’illustre le papier peint qui se décolle du haut du mur. La lumière créée par Bethany Gupwell, habituée des théâtres britanniques, s’implémente dans l’histoire, faisant ressortir des teintes proches du vert, progressivement rosées près de la grande fenêtre, et les teintes bleutées dans l’appartement, plongeant le public dans un réalisme nocturne déroutant.
Un premier court métrage du réalisateur Grant Gee présente une première fois la chanteuse Patricia Petibon à l’écran, visage neutre, filmée dans les rues de Strasbourg durant la nuit. Le public imagine qu’elle est en train de rentrer chez elle. Elle entre en fait en scène, dans l’appartement, vêtue d’un manteau vert d’inter-saison de style citadin proposé par la costumière Sussie Juhlin-Wallén, puis plus tard une nuisette blanche mais en annonçant une tragique fin sacrificielle.
Preuve d’une grande aisance scénique, Patricia Petibon accomplit des gestes du quotidien, à la chorégraphie millimétrée, de sorte que les yeux se laissent bercer par ses mouvements. La soprano, armée de son téléphone portable, tente péniblement d’avoir une conversation sérieuse avec cet amant absent de la scène. Son chanté-parlé naturel rend presque inutiles les surtitres et elle anime, à elle seule, ce dialogue de sourd. Cette série de mini-conversations téléphoniques, perturbées à de nombreuses reprises, permet au public d’entendre sa voix plutôt claire avec trémolo serré et des fins de phrases courtes. Sa ligne vocale est équilibrée avec l’orchestre dans son registre aigu, tandis que son registre moins puissant dans le medium et le grave la fragilise parfois, surtout quand elle ne parvient pas à surpasser l’orchestre.
Conduit avec précision par Ariane Matiakh, l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg sait s’efforcer à trouver l’équilibre dans cette écriture aux accords denses et sensuels, avec un jeu tantôt enjoué, tantôt sombre, au tempo très changeant, mais toujours un peu piquant d'harmonies issues du jazz ou de rythmes syncopés.
L’ouverture finale de la fenêtre laisse supposer un suicide. Mais de cette sombre issue, le réalisateur Grant Gee propose une fin alternative, plus onirique, en ajoutant à l’opéra une deuxième vidéo durant laquelle l’orchestre interprète Aeriality de la compositrice islandaise Anna Thorvaldsdottir. La vidéo commence avec le sang qui remonte des pavés qu’elle avait ensanglantés et la femme qui se relève. La chanteuse voit trois figurants puis son chien, qu’elle accompagne à nouveau dans les rues de Strasbourg, puis le long des canaux, dans une balade nocturne qui aboutit à nouveau chez elle, dans son appartement, avec la sonnerie du téléphone devant le lit : comme une seconde chance, une résurrection.
Durant cette fin alternative, l’orchestre déploie une succession de nappes orchestrales aux sonorités spectrales, traces d’une influence des compositeurs Iannis Xenakis et Gérard Grisey, mais dont les échos de percussions sur les premiers balcons de part et d’autre, mènent vers un orchestre bien plus romantique : remontant là aussi le temps et les sentiments.
Le public applaudit la performance, tout en demeurant un peu dérouté ou méditatif, des sentiments qui se prolongent comme les échos d’une voix humaine et d’une seconde chance amoureuse.