Compositrices et mélodies françaises à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
Si les noms de Nadia et Lili Boulanger ou de Pauline Viardot parlent encore à la mémoire et résonnent dans des salles de concert, d’autres compositrices apparaissent soient presque totalement oubliées comme Rita Strohl ou par trop négligées comme Augusta Holmès (mais heureusement, elles le sont progressivement moins, de nombreuses initiatives s'employant à remettre à l'honneur leurs travaux).
La compositrice et pianiste Rita Strohl (1865-1941), admirée en son temps par Camille Saint-Saëns et Vincent d'Indy et au caractère affirmé qui l’éloignait de toute mondanité, livre ici quatre mélodies sur des poèmes de Charles Baudelaire, La Cloche fêlée, Le Revenant, La Tristesse de la lune et La Mort des pauvres. Sa musique épouse pleinement les textes du poète, puissamment dramatique, parfois aride, avec un soupçon de ce mysticisme qui l’habitait, exigeante aussi pour les interprètes.
Trois mélodies issues du cycle Les Sept Ivresses d’Augusta Holmès sur des poèmes rédigés de sa plume et dénommées La Gloire, La Haine et L’Or viennent également nourrir le programme. Cette autodidacte fascinante par son parcours atypique tant musical que personnel -elle fut la compagne du poète et dramaturge Catulle Mendès et composa quatre opéras ambitieux sur des thèmes mythologiques dont La Montagne noire créée à l’Opéra de Paris en 1895-, fidèle de César Franck et admiratrice inconditionnelle de la musique de Richard Wagner, ose une musique puissante et fortement charpentée. La première des mélodies évoque sans conteste son engagement patriotique avéré et la dernière, L’Or avec son poème exalté, le Wagner de L'Or du Rhin.
Ce riche concert est pourtant le fruit de sensibles modifications, la mezzo-soprano Marine Chagnon (prévue dans ce programme dont elle nous parlait en interview) étant souffrante. Le ténor Laurence Kilsby et le pianiste Guillem Aubry se voient ainsi offrir une plus grande place. Ténor lyrique au timbre irisé, la voix de Laurence Kilsby qui allie souplesse et clarté manque encore dans l’immédiat d’un peu d’ampleur et le bas médium doit encore s’affirmer. La ligne de chant très surveillée apparaît soutenue par un excellent contrôle du souffle lui permettant de porter avec la vaillance requise et avec poésie les fins de phrases. Musicien aisé, sa lecture des mélodies difficiles de Rita Strohl s’avère particulièrement convaincue. Il bénéficie de l’appui au piano de Guillem Aubry très investi dans sa mission et au toucher juste et sincère. La complicité des deux artistes s’avère patente, complète avec la série de mélodies de Nadia Boulanger, dont la très inspirée Élégie, et plus encore pour trois mélodies du merveilleux cycle composé en 1913-1914 par Lili Boulanger sur des poèmes de Francis Jammes, Clairières dans le ciel. La poésie indicible qui émane de leur interprétation pénétrante conquiert à juste titre le public de l’Amphithéâtre. Présent lors du dernier Festival d’Aix-en-Provence dans la production du Couronnement de Poppée, Laurence Kilsby participera à la présentation en version concertante au prochain Festival de Salzbourg des Troyens d’Hector Berlioz dans les rôles de Iopas et Hylas, sous la baguette de John Eliot Gardiner auprès de l’Enée de Michael Spyres.
La soprano moscovite Margarita Polonskaya se met au service de cinq mélodies sur des poésies russes d’Alexandre Pouchkine ou Afanassi Fet composées par Pauline Viardot. La voix franche et généreuse, à l’aigu brillant et sûr, possède toute la séduction indispensable pour rendre hommage à la compositrice-cantatrice et à sa musique puissamment lyrique. Carlos Sanchis Aguirre, pianiste et chef de chant, lui donne une réplique incisive.
Adrien Mathonat possède une voix de basse particulièrement imposante, aux fortes résonances, au grain rocailleux, même si l’extrême grave pourrait plus encore s’épanouir. Il aborde ses mélodies comme des airs d’opéras, avec détermination et vigueur, sans vraiment tenter d’introduire plus de nuances et de diversité dans le rendu général. Mais le résultat accroche indéniablement le public qui lui réserve un excellent accueil, Guillem Aubry étant au piano. Ce dernier retrouve son confrère Carlos Sanchis Aguirre pour trois des six Pièces romantiques pour piano à quatre mains de Cécile Chaminade. Ces pièces inspirées apportent la note de légèreté au sein d’une soirée musicale plus sérieuse, et fort appréciée.
Le Palazzetto Bru Zane proposera ce rendez-vous au sein des salons de son palais vénitien le 8 mars prochain. Il sera par ailleurs possible de retrouver les jeunes artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris le 23 mai prochain, toujours à l’Amphithéâtre, pour une soirée consacrée à un florilège de mélodies, italiennes cette fois (Rossini, Bellini, Donizetti) dans le cadre d'une séance "Relax" : rendez-vous invitant particulièrement aussi des personnes en situations de handicap, mais permettant en fait à tout le monde de venir au concert sans taire des réactions face à la musique.