Le Barbier de Séville plein de surprises en direct de Londres
Créée in loco en 2005, reprise et captée en 2009, avec Joyce DiDonato chantant en fauteuil roulant après s’être cassé la jambe le soir de la première (la formule consacrée en anglais pour souhaiter bonne chance à un spectacle : "break a leg" ayant alors hélas été tristement littérale), cette reprise, presque quinze ans plus tard, met en lumière de jeunes interprètes particulièrement prometteurs aux côtés de chanteurs bien connus des grandes scènes lyriques.
Le duo de metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier signe une production d’une intelligente épure, réglée au fil du temps et dont tous les ressorts comiques sont choisis et millimétrés. Comme pour mieux les faire se rencontrer, les personnages évoluent dans une forme de boîte, d’abord ouverte sur un grand cyclorama dont la couleur évolue, passant de la nuit au jour à mesure qu’Almaviva multiplie les tentatives de séduction auprès de Rosina. Mais la boîte se referme vite sur la jeune pupille quand son tuteur devient méfiant, et l’action se concentre entre les murs de la maison dont le décor aux traits verticaux rappelle les barreaux d’une prison. Aucune échappatoire donc pour Rosina, qui ne devra compter que sur la ruse (et la crédulité) de ses comparses pour entrevoir un peu de lumière du jour. La stylisation des costumes des personnages évoque la commedia dell’arte, autant que la direction d’acteurs, appuyant les stéréotypes du genre. Le minimalisme de la production laisse cependant à quelques reprises les protagonistes un peu seuls dans un espace peu meublé et le rythme, notamment lors des récitatifs, redescend parfois.
Du rythme, il en est question en fosse, car sous la baguette de Rafael Payare, l’Orchestre maison déploie ses couleurs dès l’ouverture de l’œuvre, très enlevée et dynamique, au tempo bien marqué. Par la suite, certaines nuances se perdent un peu et la fantaisie avec, notamment dans les ensembles choraux, où un manque de légèreté couvre les chanteurs, mais le mixage sonore au cinéma y est peut-être aussi pour quelque chose. La précision de la direction semble parfois un peu mécanique et pesante mais a le mérite d’éviter de possibles décalages avec les chanteurs dans cette partition exigeante et virtuose. Le chœur est quant à lui très en place et prend plaisir dans toutes ses interventions, déguisés en musiciens de cavatine ou en policiers (britanniques, bien sûr).
Les solistes brillent tous dans cette soirée, à commencer par le solide Fiorello au timbre élégant de Josef Jeongmeen Ahn, qui introduit le spectacle. Plus tard, la pétillante et attachante Berta d’Ailish Tynan, affublée d’un faux nez et de fausses formes plantureuses, compose un personnage porté sur la bouteille, qui navigue dans l’intrigue sans tout saisir mais avec son mot à dire. La chanteuse déploie toute sa palette expressive dans son moment soliste, mêlant timbre tantôt séduisant, tantôt volontairement altéré.
Les captations de cette production semblent décidément attirer les curiosités et paradoxes, puisque, malade, l’interprète du Docteur Bartolo, Fabio Capitanucci, doit laisser sa place vocale à un autre chanteur (Grant Doyle) sur le côté de la scène, tout en interprétant le rôle sur le plateau. Exercice de mimétisme ô combien difficile quand retransmis sur écran géant, d’autant plus dans une œuvre aussi complexe du point de vue de l’articulation. Le défi est relevé par les deux interprètes, le premier s’acquittant avec brio de cet exercice scénique périlleux, mimant et articulant les mots prononcés par un autre, son implication parvenant à faire oublier qu’il ne chante pas lui-même. De son côté, Grant Doyle réussit à insuffler les intentions du personnage sans le voir sur scène, déployant un timbre un peu engorgé mais seyant au rôle. Sa position statique face au chef lui permet de rendre les ornementations à toute allure, les mots tombant impeccablement sur les notes des cordes de l’orchestre. Grâce à cette prouesse, le personnage parvient à ne faire qu’un entre les deux interprètes, ce qui n’était, encore une fois, pas une mince affaire sur grand écran.
Un seul interprète suffit pour incarner Don Basilio, et Bryn Terfel met toute son expérience de la scène au service d’un numéro comique et acrobate ! Certes, le trait est un peu forcé, mais le personnage ainsi créé, encombrant, presque libidineux de nature déclenche les rires du public dans les deux salles. Très sonore, le timbre large, le chanteur construit son air de la calomnie crescendo et s’en amuse beaucoup avec maîtrise, concluant le passage, debout sur les deux bras d’un fauteuil, tonitruant en accord avec toute la place que prend son personnage.
Le jeune interprète de Figaro, Andrzej Filończyk, emporte tous les suffrages dès son entrée, ô combien célèbre, « Largo al factotum », entamé depuis la salle, où il sort ses ciseaux de barbier de sa salopette (sur laquelle on peut lire un badge marqué Chiamate Figaro 31 31), pour refaire la coupe à quelques messieurs du public avant de grimper avec aisance sur le plateau. Son timbre, très riche dans tous les registres, est couplé d’une maîtrise technique exemplaire qu’il place au service du jeu. Chanteur assuré et serein, il allie panache et malice. Du côté de l’articulation, cet air d’entrée semble toutefois plus travaillé que le reste de la partition.
Toujours du côté des nouveaux et jeunes interprètes, Aigul Akhmetshina offre un portrait intéressant de Rosina, semblant plus sombre, mature et introvertie qu’à l’accoutumée, grâce notamment à des graves très accessibles et projetés. Les aigus le sont tout autant, et la chanteuse orne "Una voce poco fa" sans se ménager, aidée il est vrai, par le tempo assez modéré adopté par le chef. Son souffle bien conduit, sa musicalité certaine et son timbre de velours lui valent un tonnerre d’applaudissements après son air d’entrée, un spectateur glissant même un « Brava! » sonore entre la fin des applaudissements et le début du récitatif suivant. Elle compose par la suite un personnage allant vers de plus en plus de légèreté et d’expressivité.
Lawrence Brownlee en comte Almaviva sert une musique qu’il connaît très bien. Les phrasés sont très musicaux, les ornementations maîtrisées et rapides, le timbre un rien métallique. Dans le jeu, il est comique, séducteur prêt à tout, impliqué de bout en bout. Mais il manque un brin de brio à sa composition. Ces deux premiers airs manquent un peu de souplesse dans la projection et paraissent un peu forcés, le chanteur faisant l’économie de certains aigus, qui lui sont pourtant habituellement bien accessibles. Il est dommage de ne pas avoir pu l’entendre sur "Cessa di più resistere", coupé dans cette version, qui aurait permis d’apprécier toute l’étendue de sa virtuosité.
L’énergie et l’engagement des chanteurs, autant que l’efficacité de la production scénique emporte l’adhésion du public, tant dans la salle londonienne qu’au cinéma, où les rangs sont un peu plus étoffés qu’à l’habitude, sans doute grâce à la notoriété de l’œuvre.
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