Salon romantique à la Philharmonie de Paris
Le public se réunit dans le petit amphithéâtre de la Cité de la Musique pour une soirée consacrée au Lied et en particulier à Schubert, qui ouvre et clôt le programme. Mais ce sera aussi l’occasion d’assister à la création française du Vermischter Traum (Rêve mêlé) du compositeur contemporain Wolfgang Rihm, basé sur les poèmes de l’auteur allemand Andreas Gryphius (1616-1664).
Une autre particularité du concert, la volonté des interprètes de faire sonner les œuvres « comme à l’époque », d’où les deux instruments installés sur la scène, le classique piano à queue Steinway, qui accompagne les Lieder modernes de Rihm et le piano à queue Brodmann construit à Vienne en 1814 – une œuvre plaquée d’acajou, d’une frise et de feuillages en bronze doré dont le clavier couvre six octaves et possédant quatre pédales. L’instrument, restauré, appartient désormais à la collection du Musée de la Musique et c’est celui qu’utilisera Olga Pashchenko pour jouer Schubert et Beethoven (An die ferne Geliebte - À la bien-aimée lointaine). Pour le dernier des trois bis, Georg Nigl fait savoir au public sa volonté de chanter également Schubert comme on le faisait au XIXe siècle et s’assoit à côté de la pianiste pour clore le concert sur un dernier Lied – Die Taubenpost, qui ouvre également la soirée.
Le baryton allemand présente une voix aussi ronde que large, un débit fluide et surtout aisé, impressionnant de naturel dès les premières notes – impression qui se poursuivra jusqu’à la fin du concert, presque sans un accroc. Le timbre oscille entre un clair-obscur et une palette de nuances cuivrées de graves profonds et d’aigus un peu plus difficiles à atteindre. Néanmoins, Georg Nigl se fond totalement dans ce répertoire, le couronnant d’une diction allemande nette et précise qui permet au spectateur d’apprécier toute la beauté des textes, accompagnés de la musique. Il fait montre de toute la maîtrise de sa voix et de son chant dans le Vermischter Traum de Wolfgang Rihm (dont il a chanté l’opéra Jakob Lenz), qui exige à la fois puissance et légèreté, parfois de la simplicité, et quelques bonds de graves profonds à des aigus plus légers – ce qui ne pose presque aucun souci pour le baryton. Sa posture est certes un peu guindée au début du concert, mais il se détend peu à peu, surtout après l’entracte et le Lied de Rihm, avant son retour à Schubert. Ce qui semblerait même au début de l’ennui – un Taubenpost quelque peu traînant – dénote en réalité une certaine mise en retrait du chanteur et un respect pour cette musique qu’il transmet avec, au fond, une très grande émotion – émotion partagée par le public qui ne fait aucun bruit, profitant de la suspension du silence après chaque pièce, avant d’applaudir chaleureusement.
Olga Pashchenko démontre, quant à elle, un jeu soigné, attentif et dégagé, aussi habile sur le piano moderne que sur le pianoforte, dont elle découvre au public la lumière des notes. L'entente musicale entre les deux interprètes leur permet d'aborder les Lieder de la même façon et la simplicité du jeu de la claviériste fait également ressortir les sentiments présents dans la musique, dont son intimité.
Le programme du concert s’achève sur Der Abschied, « L’Adieu » de Schubert, mais le temps des adieux n’est pas encore venu et Nigl donne trois bis, où il reprend notamment Fischerweise (Chanson de pêcheur) de Schubert, qui avait beaucoup plu, ainsi que le nocturne Wandrers Nachtlied, spécialement pour le bis, dont il fait encore une fois planer la lente mélancolie et le silence de la fin, avant de recevoir un tonnerre d’applaudissements de la part du public.
La soirée est finie et l’heure est désormais réellement à l’ « Abschied » : le public quitte ce « Salon romantique », la plupart des spectateurs, ravis de ce concert, fredonnant encore dans la nuit des airs de Schubert.