La voix transfigurée pour la soirée de clôture du Festival Présences à Radio France
Ces deux pièces mettent en avant la voix féminine, avec deux sopranos virtuoses pour chaque morceau, deux adaptations littéraires, deux explorations formelles. Donnée en création mondiale dans une nouvelle version, la première œuvre, Le silence des sirènes est basée sur le onzième chapitre d’Ulysses de James Joyce (surnommé chapitre des Sirènes car c’est à cet épisode de l’Odyssée que correspond ce chapitre du chef-d'œuvre moderniste irlandais), à laquelle s’ajoute en introduction un bref extrait en grec ancien de l’œuvre d’Homère. Le deuxième morceau de la compositrice (et ultime œuvre du programme) est également centré sur la voix. Il s’agit d’une suite concertante tirée de son opéra Alice in Wonderland de 2007, basée sur l’indémodable œuvre de Lewis Carroll ainsi que sa suite, De l’autre côté du miroir, intitulée « Puzzle and games from Alice in Wonderland », dont il s'agit d'une création française.
La compositrice a été d'abord fascinée dans l’extrait de Joyce qu’elle a mis en musique par « une musique de mots dans laquelle la couche sémantique de la langue semble avoir été éliminée ». Aussi la partition a-t-elle tendance à faire aller la voix de la soprano française Faustine de Monès vers des techniques de chant très diverses, comme si le but était de faire aller la chanteuse vers les formes d’expressivité les plus disparates, jusqu’à ce que le chant cesse d’être lié à l’expression d’un sentiment ou une émotion bien précise, pour laisser la place à une expressivité pure, dépourvue de tout référent ou attache. La partition est redoutable, exigeant une grande virtuosité de son interprète qui commence le concert hors scène, a cappella, avec une ligne de chant encore assez lyrique, quoiqu’avec un vibrato volontairement outré. Une fois sur scène et rejointe par l’orchestre, elle enchaine les styles de chant, en passant par des formes de sprechgesang (parlé-chanté) et allant jusqu’au cri. Sa voix brillante, agile tout en étant puissante est à la mesure de l’œuvre d'Unsuk Chin. L’Orchestre Philharmonique de Radio France retranscrit tous les soubresauts de la musique, avec ses pizzicati, ses moments de dissonance, ses changements de tempi, dans cette partition de celle qui fut une disciple de György Ligeti. Si les pièces créées sont exigeantes pour leur soliste, elles le sont également pour l’orchestre dans son ensemble, qui doit faire preuve d’une grande précision pour amorcer tous les virages abrupts que leur impose la partition. La direction alerte et énergique d’Antony Hermus guide l'interprétation incisive des trois pièces interprétées.
Une seule interprète demeure de la distribution de l’opéra Alice au pays des merveilles, le rôle-titre, ici chantée par la soprano australienne Alexandra Oomens. Là aussi, les exigences vocales sont conséquentes. Si certaines parties sont plus lyriques, à d’autres moments, la partition amène l’interprète à parler, mobilisant les dons de comédienne de son interprète pour incarner l’héroïne de Lewis Carroll. De plus, d’autres passages demandent à la cantatrice de passer dans une voix de tête stridente évoquant presque une sirène de gyrophare. L’interprète assume pleinement chacune des humeurs qu’elle a à donner, faisant résonner son timbre velouté et lumineux, tout en donnant la puissance et le mordant nécessaire aux péripéties de la partition, incarnant Alice avec candeur et malice. Après un crescendo orchestral, un enchainement effréné de mouvements disparates alors que le rêve se mue en cauchemar, le calme surgit de nouveau. La suite se termine par un retour en enfance, comme une fugue autour de la comptine « Twinkle, twinkle little star » bien connue des enfants du monde anglophone.
L’imprévu faisant le sel du spectacle vivant, malheureusement, ce soir, le sort a empêché la performance d’une des quatre pièces au programme (la création mondiale de Hoquetus animalis de Théo Mérigeau). Malheureusement, l’orgue de Radio France s'avérant récalcitrant ce soir, et malgré tous les efforts des accordeurs durant l’entracte (qui se voit quelque peu prolongé), cette première mondiale a dû être remise à une autre représentation. Aussi, des deux œuvres pour soliste instrumentiste qui étaient au programme de ce soir, il n’est reste qu’une : une autre création mondiale, celle d'I Giardini di Vilnius de Francesco Filidei, concerto écrit pour la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton. Là aussi, la pièce pousse sa soliste à utiliser une très grande palette de nuances de son instrument, allant des pianissimi les plus évanescents aux pressions les plus intenses de l’archet sur les cordes, le tout accompagné par une myriade de développements orchestraux. Le plus frappant à voir est l’usage de sortes de lanières comme instrument, deux des percussionnistes faisant tournoyer des cordes lestées pour faire résonner une forme de bruissement.
Chaque pièce est couronnée de son lot d’applaudissements, qui acclament la compositrice et le compositeur présents pour leurs créations. Ceux-ci semblent émus, et saluent les solistes interprètes avec reconnaissance.
Ce concert sera diffusé le 29 mars sur France Musique, à écouter via ce lecteur :
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— Orchestre Philharmonique de Radio France (@PhilharRF) 12 février 2023