Charpentier / Desmarest, Te Deum notoire / inédit à l’Auditorium du Louvre
La juxtaposition de Marc-Antoine Charpentier et d’Henry Desmarest engage l’auditoire dans l’univers musical de l’époque de Louis XIV. Dans un jeu de miroir, les similitudes entre les deux Te Deum sautent aux yeux et aux oreilles. Leur incipit, par exemple, jaillit sous forme de roulement de timbales, ces louanges à Dieu revêtant également un caractère festif et guerrier pour la célébration d’une bataille militaire. La même formation (un chœur, un orchestre avec trompette et timbales auxquels se joignent des solistes) peut interpréter les deux œuvres dans lesquelles les deux compositeurs jouent avec les contrastes entre le faste et l’intime, la prière et l’emphase.
Ces analogies n’empêchent pas le public de déceler deux personnalités musicales distinctes, et, bien qu’ayant tous deux subi la suprématie de Lully, Charpentier et Desmarest apparaissent néanmoins comme deux figures emblématiques du grand siècle.
Charpentier dans son Te Deum (très connu en tant que générique de l’Eurovision) donne la primauté au texte et à sa scansion tandis que celui de Desmarest fait valoir le texte avec des lignes ornées et virtuoses. Louis-Noël Bestion de Camboulas précise avec humour que si le Te Deum de Desmarest n’est plus si inédit que cela c'est parce que son ensemble Les Surprises l’a joué et enregistré l’an dernier. Il remercie au passage le CMBV (Centre de Musique Baroque de Versailles), avec lequel Les Surprises collaborent régulièrement, pour ses recherches de partitions inédites dans les fonds musicaux de la Bibliothèque Nationale de France ainsi que pour son travail d’édition.
À une trompette près (une seule présente sur les deux mentionnées par le compositeur), l’effectif indiqué par Charpentier est respecté en étant même agrémenté d’un basson, une couleur supplémentaire pour le continuo. Les flûtes et hautbois alternent en nuançant la louange et l’ensemble répond au tactus (mesure, battue) du chef qui insuffle souplement un tempo qui avance.
Le chœur se présente dans un effectif restreint (douze chanteurs) et, si le son d’ensemble irradie l’auditorium, un certain déséquilibre est perceptible. Le pupitre luxueux de sopranos (quatre au total) et les voix de taille projettent brillamment leur voix, masquant quelque peu les deux hautes-contre. Les trois basses peinent à asseoir le socle harmonique de par leurs voix davantage barytonantes, la basse continue à l’orgue suppléant cette fragilité. Néanmoins les voix mêlées, au vibrato contenu, procurent un son clair et l’attention portée aux consonnes cisèle le discours dans une intelligibilité constante et une scansion précise.
Sortant du rang, les solistes s’avancent et c’est Étienne Bazola qui ouvre le bal en déclamant « Te Deum laudamus! » (A toi Dieu, notre louange !). Sa louange demeure cependant quelque peu confidentielle, rivalisant difficilement avec l’énergie de l’orchestre. Préservant la souplesse, sa voix revêt une certaine douceur feutrée s’apparentant au son des flûtes dans une présence atténuée.
Les sopranos Eugénie Lefebvre et Jehanne Amzal se répartissent les interventions solistes opportunément en fonction de leur voix. La première assume les airs brillants et vocalisant de la pièce de Desmarest dans une projection assurée, la voix de la seconde, séraphique, semble plus favorable à l’intériorité des pages éthérées. Toutes deux délivrent les duos dans une complémentarité flatteuse.
Clément Debieuvre assied sa présence de sa voix de ténor aigu (voire de haute-contre) extrêmement centrée et directionnelle (les aigus pouvant parfois être accompagnés d’une certaine raideur). Se mariant au timbre des hautbois et dans une précision d’orfèvre, ses interventions captent l’auditoire qui ne perd pas un mot de son discours.
En complémentarité, son collègue de pupitre François-Olivier Jean se charge des pages rayonnantes du Te Deum de Desmarest. Il projette assurément sa voix ronde et vibrante, évoquant la Gloire éternelle en vocalises joyeuses.
François Joron, présenté comme basse sur le programme de salle, fait entendre une ligne assurément de baryton tant sa voix brille dans le haut de la tessiture. Il en module la vibration selon l’affect désiré et la développe par une agilité certaine.
Louis-Noël Bestion de Camboulas remercie le public pour son accueil chaleureux et propose en bis une pièce consacrée au sommeil, après les fastueux Te Deum, la soirée s’achève ainsi dans le calme.