L'Opéra de Limoges lève enfin pleinement le mystère de sa Dame Blanche
Elle devait être donnée il y a deux saisons de cela, après avoir été créée en 2020 à la salle Favart sur cette place portant le nom de son compositeur lui-même. Mais une crise sanitaire est passée par là, et il aura fallu attendre 2023 pour présenter pleinement au public en terre limougeaude cette production (nos lecteurs avaient néanmoins déjà pu apprécier un avant-goût en attendant des jours sanitaires meilleurs, tandis que la production avait été adaptée par l’Opéra de Nice, co-producteur du spectacle). Mais c’est bien cette fois-ci l'œuvre intégrale qui est proposée, dont l’ambiance châtelaine et surtout très « scottish » est restituée par la mise en scène de Pauline Bureau (ici reprise par Valérie Nègre) et les décors d’Emmanuelle Roy.
S’ancrant dans chacun des actes qui se succèdent, trois tableaux principaux habillent un espace scénique dominé par de sombres teintes : d’abord la lande écossaise et ce mur (peut-être celui d’Hadrien) devant lequel se retrouvent les villageois, puis cette dépendance de château semi-éclairée par d’imposants vitraux au verre cassé où ne dépareillerait pas un passage de chauve-souris, et enfin ce grand séjour où trônent statues et tableaux de famille à la manière d’un manoir (ici assurément hanté). Cette ambiance de Highlands est renforcée par les lumières vert kaki et bleu saphir dont Jean-Luc Chanonat fait ici un habile dosage, mais aussi par l’utilisation de la vidéo dont l’emploi est en l’espèce tout sauf superficiel ou surabondant. Qu’elles servent à projeter une vision de La Dame blanche façon hologramme, à donner vie aux portraits qui garnissent les murs du château, ou encore à donner de la profondeur à un paysage de verdure éclairé par un ténébreux croissant de lune, les projections de Nathalie Chabrol se fondent pleinement dans une mécanique cherchant la fidèle reproduction d’un univers propice aux chasseurs de fantômes. Dans ce huis clos où les portes grincent et où le parquet craque, les corps émergent parfois du sol et des mèches sorties de nulle part en viennent soudainement à exploser : des effets signés du magicien Benoît Dattez qui renforcent le côté fantastique de ce château, et qui ne manquent pas de faire sursauter le public.
Les costumes aux finitions soignées d’Alice Touvet ne donnent pas dans l’effet de manche, avec kilts et tartans du plus pur style écossais (ne manquent qu’armes et boucliers pour se croire définitivement dans Highlander), et les personnages sont portés par des artistes visiblement heureux, plus de deux ans après les premières répétitions, de pouvoir enfin lever le voile de cette Dame blanche sur la scène limougeaude.
Avec ses cheveux d’une rousseur marquée, Mélissa Petit se fond entièrement dans les rôles finalement pas si doubles d’Anna et de la Dame blanche. D’une voix ample richement timbrée, la soprano use d’un engagement dramatique certain et de sa palette de nuances pour dépeindre tant la mystique autorité d’un faux fantôme que la sensiblerie toute nostalgique d’Anna. Le fameux “Enfin je vous revois” est une prière vibrante portée par une voix non moins vibrée et son homogénéité sonore sur toute la largeur de tessiture ici requise.
En Georges Brown vaillant et téméraire, puis en Julien soudain plus fragile car rattrapé par le souvenir et par le sentiment amoureux, Julien Dran déploie une voix pareillement sonore dans chacun des registres, avec des aigus hardis qui côtoient un mezza voce empreint de virtuosité, sans omettre cette qualité de legato qui vient notamment lustrer la grande cavatine du rôle, “Viens gentille Dame”.
Jean-Luc Ballestra est un Gaveston appliqué, qui a le coup de cravache et la colère faciles, et dont l’autorité est ici servie par l’ardeur d’un timbre vif qui gagne en rondeur d’émission à mesure qu’il se tourne vers le grave. François Rougier, de retour à Limoges après une récente Princesse Jaune, prête à Dickson son ténor assuré et fringant de timbre, et ses talents de comédien ici prompt à forcer le trait d’un personnage apeuré et un rien ingénu. Le tout dans un spectacle d’ailleurs très théâtral où les dialogues, remis à la mode linguistique du jour, prêtent bien souvent à rire. Sophie Marin-Degor est une Jenny pétillante, mère un peu défaite à la seule idée de ne point trouver de parrain, mais à la voix guillerette et aisément projetée à l’heure de conter sa fameuse ballade. Le chaud mezzo de Cécile Galois (Marguerite), par ailleurs comédienne fort investie, flirte souvent avec le parlé, notamment, dans le registre inférieur, mais n’en reste pas moins chantant. Edouard Portal prête lui son imposante voix de basse à Mac-Irton incarnant une justice dont la balance tourne surtout vers le comique, avec des mimiques drôlatiques.
Le Chœur de l'Opéra de Limoges est impeccable d’homogénéité sonore, la fusion bien huilée de ses membres semblant former comme un seul et même personnage. De même pour l’Orchestre de l'Opéra de Limoges placé sous la direction dynamique de Fayçal Karoui qui tire des pupitres une large palette de couleurs sonores, parfois mélancoliques et poétiques (comme ce solo de cor à l’acte II), mais surtout tourbillonnantes et résolument rossiniennes. Un tourbillon dans lequel le public se laisse emporter avec un plaisir perceptible, ponctuant d’applaudissements nourris chacun des airs de bravoure puis saluant, avant le baisser de rideau, la production toute entière.