Nadia Boulanger à Radio France, sacrée musique pour un double hommage
Nadia Boulanger est une figure incontournable du paysage musical du XXe siècle, reconnue pour ses talents de compositrice, d'organiste, et aussi (entre autres) de pédagogue. Devenant même la directrice du Conservatoire américain de Fontainebleau, elle a formé de prestigieux compositeurs venus du monde entier, et notamment des États-Unis. Ce concert réunit ainsi des œuvres composées par deux de ses plus fameux élèves américains : Aaron Copland et Leonard Bernstein, avec en outre l’ami qui s’exilera aux USA, Igor Stravinsky.
Les deux compositeurs-élèves sont même reliés par un même titre d’œuvre au programme, en forme de réminiscence des années françaises (même si les inspirations en sont différentes) : Lark de Copland sur un texte de Geneviève Taggard célébrant l’espoir suscité par le président Franklin D. Roosevelt et son New Deal, et The Lark de Bernstein, musique de scène pour L’Alouette de Jean Anouilh.
Le programme témoigne plus globalement, via le choix des morceaux et ce qu'ils disent de la carrière de ces élèves géniaux, de l’enseignement et de l’influence de Nadia Boulanger, de sa modernité s'appuyant sur une connaissance et une maîtrise des genres anciens, expliquant ainsi la présence dans ce concert de certaines harmonies presque médiévales, et de pièces d'inspirations bibliques (Missa brevis et Chichester Psalms de Bernstein, Four Motets de Copland).
Le public est en outre plongé dans la jeunesse de Nadia Boulanger, lorsqu'elle assiste à 25 ans avec fascination à la première du Sacre du printemps de Stravinsky, œuvre ce soir interprétée par l'instrument de Nadia Boulanger : l'orgue, ici à quatre mains (et quatre pieds). Les difficultés rythmiques sont importantes, la régularité de cette musique aux accents parfois primitifs se voyant mise à mal, mais les deux instrumentistes Shin-Young Lee et Isabelle Demers entrecroisent leurs bras d’un clavier à un autre, faisant ressortir la dimension percussive et les dissonances de timbres.
Le Chœur de Radio France a cappella fait entendre des harmonies colorées, très subtiles voire touchantes, même en grand effectif. La puissance s'allie à la finesse d'une préparation et direction minutieuse de Lionel Sow, dont la direction se fait souple, élancée, sûre, parfois dansante. Les attaques sont douces et assurées, l'ensemble se montrant précis (malgré des retards dans les pupitres graves).
Les deux “Alouettes” sont l’occasion d’entendre des solistes : la voix ronde, sonore et lumineuse de la soprano Barbara Assouline à laquelle répond, comme en écho, le contre-ténor Guilhem Terrail dont la sobriété du chant est portée par un joli soin porté aux consonnes (tandis que le registre un peu trop aigu ne met pas en valeur le timbre du baryton Mark Pancek, manquant de rondeur quoiqu’empreint d‘une certaine autorité).
Le finale des Chichester Psalms s'impose comme moment fort de la soirée, rendant hommage au ténor Euken Ostolaza, artiste du chœur visiblement apprécié de tous à la Maison ronde, et qui a tristement tiré sa dernière révérence l'avant-veille. Avant l’interprétation des Chichester Psalms, Lionel Sow partage les pensées attristées du chœur, donnant tout leur sens aux paroles, chantées en hébreux et a cappella « Vois comme est bonne, et combien plaisante, la réunion de frères bien ensemble ». Ses collègues, unis par ce puissant appel à la fraternité, écrasent discrètement leurs larmes, partageant cet hommage et leur émotion avec le public, profondément touché lui aussi.
Un long et beau silence laisse résonner ce vibrant instant, avant que l'auditoire ne laisse éclater sa reconnaissance par des applaudissements faits de chaleur et de compassion.