Le Roi Arthur réchauffe la Salle Gaveau et l’Hiver
Toute l’étendue du thermomètre est ressentie à Paris, métro Miromesnil ce soir d’hiver : 0 degré dehors, trop chaud dans la salle, tandis que rivalisent sur scène le génie du froid et Cupidon avec ses passions brûlantes (et pour chaque atmosphère un jeu de lumière projeté sur le grand orgue en fond de scène).
Lionel Meunier enfile sa quadruple casquette puisqu’il est directeur musical, chanteur, flûtiste, et hôte mettant immédiatement le public à l’aise en exposant le déroulé du spectacle.
Les festivités sont amorcées avec l’air des deux prêtres saxons, et tout de suite la couleur est donnée : bonne humeur et précision seront les maîtres mots de cette soirée. Sans costumes ni décors, les écharpes colorées de la gent féminine et leurs mouvements, figés et emmitouflés lors des passages les plus froids, tournoyant lors de ceux les plus amusants, suffisent à mettre l’emphase sur les émotions évoquées.
Pas une fausse note ou un couac ne se fait entendre durant la représentation dans l’orchestre d’instruments anciens qui résonnent dans l’entièreté de la salle, au plus grand plaisir visiblement des spectateurs. Suivant notamment le claveciniste Anthony Romaniuk qui se déhanche sur son siège, battant presque la mesure de son corps, les instrumentistes se prennent au jeu des chanteurs et de la mise en espace par des regards et mimiques adressés aux nymphes et aux soldats.
Le narrateur Laurent Bonnet raconte l’histoire (dans ce semi-opéra : fait pour alterner théâtre et musique), amusant l’assistance entre les airs, déclamant ses phrases même s’il garde les yeux rivés sur son texte.
Certains chanteurs demeurent choristes tout le long de la représentation tandis que d’autres restent une bonne partie du temps sur le devant de la scène, interprétant parfois jusqu’à trois rôles. Parmi eux le ténor Florian Sievers déploie notamment pendant l’air du guerrier britannique sa voix au timbre brillant et au souffle ample, jusqu’au fond de la salle avec une prononciation modèle.
La soprano Zsuzsi Toth propose un tour de force de diva, par la richesse de son souffle alliée à la sensualité du timbre. Elle demeure à la fois douce et agile dans les graves et puissante dans les aigus, montrant l’étendue de son ambitus dans l’air des sirènes. Sa consœur Sophie Junker possède elle aussi une voix lumineuse au vibrato léger, au souffle maîtrisé tout en assise, lui permettant d’affirmer le phrasé dans la longueur.
Les deux barytons graves Marcus Farnsworth et Sébastian Myrus offrent un contraste appréciable dans le timbre et le vibrato. Le premier, incarnant notamment Eole le dieu du vent, et ne manquant évidemment pas de souffle, avec son vibrato ample, sa voix voix chaude et rassurante rehaussée par sa prestance. Le second, souvent présent sur le devant de la scène et davantage réservé dans les attitudes, a une voix plus éclatante et s’impose avec le fameux air du génie du froid, grelottant et vociférant contre celui qui l’a réveillé. Habile dans le souffle et comme les autres impeccable sur la diction, son ambitus considérable fait fort effet.
Tous les artistes vont même jusqu'à se déplacer et sortir de scène pour l'un des moments iconiques de la soirée, l’air “Hither, this way” (“Par ici, venez”). Se pressant à gauche et à droite du plateau, créant ainsi un effet stéréo, les voilà qui chuchotent et chantent à l’image des esprits trompeurs de Philidel. La confusion impeccable orchestrée devient d’autant plus grande que quelques-uns se sont faufilés à l’arrière de la salle, faisant parvenir le son de toutes les directions : un de ces moments d’immersion qui impliquent pleinement l’auditoire et explique que les spectateurs donnent même de la voix pour chanter Gloire à l’Angleterre.
Le spectacle se conclut sur une étreinte de tous les chanteurs allant deux par deux sur le devant de la scène pour une dernière mimique propre à chacun. L’émotion est forte chez le claveciniste Anthony Romaniuk qui esquisse presque une larme devant l’ovation du public parisien.