Irina Sherazadishvili : une première tout en contrastes à l’Opéra de Bordeaux
Il est de coutume pour les lauréats du conservatoire de Bordeaux de se produire en récital sur la scène du Grand-Théâtre l’année qui suit leur “prix” (marquant la fin de leur cursus). Il en va de même pour certains gagnants du concours international de chant lyrique de Marmande, proche de la capitale girondine. Le public bordelais peut ainsi découvrir de nouvelles voix, à la faveur d’un court récital accompagné au piano.
Rendez-vous à midi trente
C’est dans le cadre d’un de ces midis musicaux, forme héritière de ce qui s’appelait autrefois aussi les “matinées” que la mezzo-soprano Irina Sherazadishvili se révèle ici à l’auditoire. Ces rendez-vous légers de la mi-journée plébiscités par le public sont très favorables à la rencontre avec de jeunes artistes. Une sorte de premier rendez-vous…
Et une première rencontre incitant à montrer tous les aspects d’une personnalité, pour se trouver des intérêts partagés, des résonances communes, Irina Sherazadishvili a conçu pour l’occasion un programme de récital très varié dans les styles, les esthétiques et les langues : de Tchaïkovski à Massenet, en passant par Verdi, Donizetti, et l’incontournable Bizet. Positionnés en fin de concert, les deux airs de Carmen (la Habanera et la Séguedille) sont bien sûr très attendus, d’autant qu’ils sont un passage obligé pour toute mezzo-soprano aspirante.
Des promesses
Pourtant, c’est en début de programme qu’Irina Sherazadishvili montre l’étendue de ses possibles. L’exercice délicat du récital pouvant fatiguer les jeunes voix, et Tchaïkovski lui seyant visiblement, ces deux premiers airs (Pauline, dans La Dame de Pique et Jeanne d’Arc dans La Pucelle d'Orléans) permettent à la chanteuse géorgienne d’impressionner par une prononciation modèle du russe, et l’élégance absolue dans le phrasé. Le souffle est très bien installé et sert un legato d’une grande musicalité. Le timbre est à peine altéré dans les nuances piano, mais partout la voix de velours caresse les courbes mélodiques de la partition : une belle promesse pour la suite du récital. L’intensité monte d’un cran dans la séquence italienne (Nabucco et La Favorite) puis en français (L’Air des lettres), allumant quelques aigus flamboyants dans cette voix, bien que le placement vocal oscille de bas en haut et que la ligne se raidisse : faisant poindre la possibilité d’un engagement total que la chanteuse ne semble ne pas encore s’autoriser.
Jean-Marc Fontana choisit élégamment le moment idoine pour glisser un passage instrumental permettant à la soliste de se préparer à l’apothéose du concert, à l’abri des regards. Le discret chef de chant de l’Opéra de Bordeaux interprète avec grâce, laissant entrevoir dans l’accompagnateur de métier l’âme sensible d’un pianiste inspiré et d’une heureuse respiration synchronisée.
Après une Carmen tout à fait incarnée et ne manquant pas de piquant, Irina Sherazadishvili prend congé du public bordelais ravi d’avoir fait, entre midi et deux, la connaissance d’une voix qu’ils reverront peut-être à l’avenir sur la scène du Grand-Théâtre. Un soir de première, cette fois ?