Hommage à Germaine Tailleferre "l'oubliée du Groupe des Six" à la Philharmonie de Paris
L'œuvre de Germaine Tailleferre compose le cœur et le point d'orgue du programme qui la réunit avec ses collègues Darius Milhaud et Francis Poulenc. Le "Groupe des Six" était complété par Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger qui seront au programme d’autres concerts du week-end tandis que ce soir, ce sont les amis de Germaine Tailleferre, Maurice Ravel et Igor Stravinsky qui complètent le tableau.
Chloé Lechat, avec la complicité de Raphaëlle Blin pour la dramaturgie et de Dominique Bruguière pour les lumières, a élaboré une habile mise en espace dans la Salle des concerts - Cité de la musique afin de faire revivre cette personnalité attachante et d’une rare modestie. Des extraits d’interviews radiophoniques permettent ainsi d’entendre la voix de Germaine Tailleferre évoquant son parcours artistique, moments souvent ponctués de savoureuses anecdotes, comme lorsqu’elle évoque son amitié avec Francis Poulenc dit “Poupoule”. La comédienne Dominique Reymond déroule pour sa part de sa voix grave et posée les éléments majeurs issus de la biographie de l’artiste, de sa formation et ses séjours aux Etats-Unis jusqu’à son enseignement au Conservatoire de Paris. Le parcours et les influences esthétiques de la compositrice sont bien entendu en résonance avec le programme musical qui va d’extraits des Trois Rag-caprices de Darius Milhaud avec leurs rythmes jazzy (créés en 1922 avec Jean Wiener au piano), au concerto Dumbarton Oaks d’Igor Stravinski (créé pour sa part aux Etats-Unis en 1938 sous la baguette de Nadia Boulanger), avant la Sinfonietta de Francis Poulenc datée de 1947 et dédiée à Georges Auric.
La partie vocale du concert avait entièrement été confiée à Marie Perbost, qui quoiqu’annoncée souffrante, se fait entendre dans la mélodie Soupir (Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé de Maurice Ravel) puis dans un extrait de La Rue Chagrin de Germaine Tailleferre avec le toucher juste et sensible de Théo Fouchenneret au piano. Malgré une projection ce soir limitée et un grain de voix blanchi, Marie Perbost révèle toute sa musicalité en cette nouvelle occasion, avec surtout une compréhension réelle du texte qu’elle parvient à maintenir dans le cadre la limitation vocale -et temporaire- de cette soirée.
Le ravissant Concertino pour harpe et orchestre de la compositrice permet à l'auditoire de s’émerveiller de cette musique toute de clarté et savamment mélodique, surtout dans l’interprétation lumineuse de la soliste Valeria Kafelnikov. De même, la pièce Arabesque pour clarinette et piano, réunissant ici Florent Pujuila (clarinette solo de l’Orchestre) et Théo Fouchenneret, expose les mêmes qualités esthétiques.
Le Concerto pour voix élevée dit "de la fidélité" résulte d’une commande spécifique de Bernard Lefort, alors directeur de l’Opéra de Paris, auprès de Germaine Tailleferre. Il fut créé au Palais Garnier en 1982, un an donc avant la disparition de la compositrice, avec l’Orchestre de l’Opéra placé sous la baguette de Zoltán Peskó et avec la participation de la soprano colorature américaine Arleen Augér, éminente mélodiste et voix aérienne. Cette pièce virtuose et vocalisante, au naturel irrésistible, permet de constater qu’à l’âge de 90 ans, Germaine Tailleferre n’avait rien perdu de la fraîcheur de son inspiration, bien au contraire. Remplaçant au pied-levé Marie Perbost, la jeune soprano avignonnaise Emy Gazeilles, un peu intimidée certes et la partition en mains, relève fièrement le défi. Elle confère beaucoup de caractère à cette page musicale relativement courte, d’une voix aisée et particulièrement souple, aux ravissantes envolées lyriques et à l’aigu diaphane. Elle vocalise avec aisance et une assurance déjà acquises, qualités qui pourront plus encore se révéler dans ses futures prises de rôles à l’opéra, et avec la Frasquita de Carmen pour ses débuts à Toulon en avril-mai prochain.
Sous la baguette ardente et précise de la jeune cheffe Chloé Dufresne, lauréate en 2021 au difficile Concours International de Besançon, l’Orchestre de chambre de Paris fait transparaître une aisance complète dans la réalisation de toutes ces musiques qui mêlent souvent le classicisme aux accents typiques du jazz, voire du dodécaphonisme. Une soirée qui a fait revivre pour le plus grand plaisir du public présent une époque spécifique et négligée, mais aussi et avant tout une compositrice de grand talent, Germaine Tailleferre.