Philippe Cassard et Natalie Dessay chantent Mozart avec l’Orchestre National de Bretagne
Simple hasard de programmation ou choix sciemment planifié ? ce concert coïncide avec la date anniversaire de la naissance de Mozart. Pour lui rendre hommage, le pianiste et chef d’orchestre Philippe Cassard, en grand amoureux de la musique de Wolfgang Amadeus a concocté un programme en deux parties, transportant l’auditoire tout d’abord à Salzbourg avec la Symphonie n° 29 écrite en 1774, puis à Vienne en 1786 au moment de la création des Noces de Figaro (dont il choisit d’extraire un des airs de la comtesse) et du 22ème Concerto pour piano. Il ajoute un air de concert pour soprano et piano écrit la même année avec une symbolique forte. Ce programme bien pensé aborde deux aspects de la personnalité du compositeur, à l’image du masque de théâtre à la fois comédie et tragédie. Les œuvres orchestrales sont légères, enjouées alors que les arias sont sombres et bouleversantes. L’émotion se déploie tout au long de ce concert où le lyrisme est une constante, même lorsque la voix n’est pas présente.
Après la symphonie menée avec délicatesse et une pointe d’esprit galant par une partie réduite de l’orchestre (correspondant à l’effectif des symphonies salzbourgeoises), Natalie Dessay fait son entrée dans la dignité d’une tenue vestimentaire sobre et élégante, pour interpréter l’air de concert “Ch’io mi scordi di te ?” (Que je t’oublie ?) et l’aria “Dove sono i bei momenti” extrait des Noces de Figaro. Sorte de double concerto avec voix et piano, l’air de concert est un petit opéra à lui tout seul découpé en plusieurs épisodes et changements de caractère (Mozart l’a composé pour lui-même, pianiste émérite, et pour son amie proche Nancy Storace, chanteuse prodige fort appréciée à Vienne). Concentrée, l’air grave, Natalie Dessay ne bouge pas, ancrée dans le sol (malgré des talons aiguilles qui pourraient la déstabiliser) pour interpréter cet air d’adieu (la soprano, créatrice du rôle de Suzanne repartait alors pour Londres). Mozart au piano s’adresse directement à elle : « ne crains rien, ma bien-aimée, mon cœur sera toujours à toi ». Chaque mot est pensé, interprété. Le récitatif est tour à tour animé, passionné, sincère avant que ne se révèle la tendresse de l’air pour s’épanouir sur d’éclatants « stelle barbare » (étoiles barbares). La voix de Natalie Dessay demeure aisée dans les aigus, agile dans les coloratures. Les intentions changent aussi vite que la palette des sentiments. Le vibrato excessif dans les médiums compense un manque de soutien, estompé dans un camaïeu de nuances douces, utilisé souvent à bon escient comme dans la périlleuse descente chromatique (par les petits intervalles de demi-tons) exprimant l’âme qui se dérobe, comme lors de la reprise susurrée de “Dove sono i bei momenti” (où s’en sont-ils allés, les beaux instants) dans l’air de la comtesse des Noces de Figaro. Dans les deux airs, la conduite de la ligne mélodique est maîtrisée allant du murmure jusqu’aux aigus incandescents.
Une fragilité est cependant perceptible dans cette réitération de pianissimi, ainsi que par certaines attaques gutturales en début de phrase lorsque le registre est trop grave pour la tessiture. La chanteuse ne met jamais à mal sa voix, axant son interprétation davantage vers l’expression, les couleurs que son talent d’actrice anime pour ces deux portraits de femme en proie aux tumultes de l’amour, de la séparation ou de la solitude.
Philippe Cassard qui connaît bien son amie (il s’agit de leur 100ème concert !) est à son écoute et adapte, compense, dialogue en osmose : au piano ou à la direction de l’Orchestre dans un équilibre fait de dosage constant. Tout aussi galant dans la direction de l’orchestre pour escorter la comtesse, Philippe Cassard semble répondre “n’aie nulle crainte” aux questions posées dans les paroles de celle-ci. La chanteuse offre alors le premier air de la Comtesse en bis, concluant la première partie du concert.
La soirée reprend et se termine avec le 22ème Concerto, où Philippe Cassard dirige également avec dextérité, soit debout, soit assis au piano toujours avec aisance et élégance. Il opte à l’instrument pour une interprétation chatoyante et entraînante, privilégiant l’aspect opératique, faisant chanter son instrument, adaptant son jeu pianistique fluide, perlé et inventif aux phrasés, aux respirations d’une voix au point de faire oublier que le piano possède des marteaux. Le piano devient la voix mélancolique d’une héroïne d’opéra qui dialogue avec le pupitre des bois. Les attaques légères des solistes de l’orchestre éclatent en tutti généreux.
Philippe Cassard transmet ainsi son amour pour Mozart aussi bien aux musiciens qu’au public qui applaudit longuement et chaleureusement, recevant en bis la cadence du dernier mouvement du Concerto.