Promesses et talents avec Gustavo Dudamel et les chanteurs de l’Académie au Palais Garnier
Cette soirée conçue par Gustavo Dudamel plonge dans un répertoire rarement donné à Garnier : dans ce programme la “comédie musicale” américaine (Kurt Weill et Leonard Bernstein) dialogue naturellement avec la musique espagnole inspirée par la Zarzuela (Enrique Granados, Fernando J. Obradors, entre autres) mais aussi avec les compositions des musiciens sud-américains (Astor Piazzolla, Heitor Villa-Lobos). Un répertoire qui a varié mais une musique qui a en commun de charmer immédiatement les oreilles et qui permet aux jeunes chanteurs de montrer non seulement leur talent musical mais aussi théâtral dans des langues moins entendues à l’opéra : l’espagnol, le portugais ou l’anglais.
C’est l'italienne Martina Russomanno qui ouvre le bal avec l’Aria et la Dança des Bachianas brasileiras n°5. La soprano déploie d’emblée un timbre charnu et souple, capable de nuancer son chant comme dans cette belle reprise piano du thème. La projection est généreuse, mais c’est dans les aigus abordés avec une vraie maîtrise que l’instrument se révèle encore davantage. Son interprétation des Canciones Clásicas españolas de Fernando J. Obradors ou d’un extrait des Goyescas d’Enrique Granados révèle de surcroît un soin du texte et une présence scénique indéniable même si parfois certains effets sont un peu surlignés.
Margarita Polonskaya, également soprano, fait entendre un instrument très différent mais lui aussi tout à fait prometteur. Construit sur un medium solide et fruité, le timbre est clair et juvénile mais capable de s'allier avec la puissance des aigus pleins et ronds. Quoique l’espagnol et l’anglais gardent quelque chose de slave dans la prononciation, la chanteuse captive par sa musicalité, tout en révélant son abattage comique dans l’ensemble de Street Scene de Kurt Weill.
La mezzo-soprano Marine Chagnon, quant à elle, s’impose d’abord par sa présence scénique, faisant de sa scène de Trouble in Tahiti de Bernstein un vrai moment de théâtre, osant bouger, changer de voix et créant un vrai lien avec le public. Le timbre est charmeur, avec un vibrato un peu serré, et le bas medium se pare de couleurs chaudes, même si la voix se perd parfois un peu dans l’orchestre et dans la densité du texte. Son duo avec Margarita Polonskaya est l’un des grands moments de la soirée, les deux chanteuses allant au bout de leurs intentions théâtrales dans "A boy like that" extrait du West Side Story de Bernstein, finissant dans les bras l’une de l’autre avec une émotion palpable.
Choix liés aux morceaux, ou contraintes de plannings ? Les hommes sont moins sollicités ce soir. C’est Alejandro Baliñas Vieites qui a le plus à chanter mais sa première intervention dans Oblivion de Piazzolla en français déconcerte un peu. La faute sans doute à une sonorisation déséquilibrée (il chante ce morceau avec micro) qui fait disparaître la voix du chanteur, lui-même paraissant très prudent. Il revient nettement plus à l’aise dans la “Romanza de Saúl” de La Galeota (Salvador Codina) avec son beau grain de basse, des graves solides et sonores, un peu appuyés par moments, mais c’est le haut de la tessiture qui se démarque avec des aigus solidement arrimés au reste de la voix, ronds et nobles.
Le ténor Thomas Ricart et le baryton Andres Cascante n’ont pas à proprement parler d’air pour briller mais des interventions dans des ensembles. Le premier fait entendre des moyens vocaux généreux, s’élançant dans le haut de sa tessiture de ténor avec un enthousiasme communicatif. Le timbre est sonore, un brin métallique, l’artiste s’économisant dans certains passages pour mieux ressortir à d’autres moments. Le second a bien peu à chanter mais il laisse deviner une voix ample de baryton, à la projection généreuse et au timbre noir, cultivant dans son attitude sur scène quelque chose de sympathique des chanteurs anciens avec sa fine moustache et ses mains sur le revers de sa veste.
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra, Gustavo Dudamel donne vie à ce répertoire trop rarement joué à l’opéra, en lui insufflant ce qu’il faut de mouvement et de théâtre : notamment avec une interprétation incisive de Bernstein comme dans le Divertimento pour Orchestre ou bien l’extrait des Three Dance Episodes from “On the Town” de Bernstein, montrant l’affinité du chef avec ce répertoire (lui qui a récemment enregistré la bande originale du remake de West Side Story par Spielberg).
L’orchestre se montre lui aussi à son meilleur, avec notamment les solos du violoniste Frédéric Laroque (au timbre très séduisant), du violoncelliste Aurélien Sabouret (très sollicité dans la Bachianas brasileiras n°5), de la contrebassiste Catherine Leroy ou encore du bandonéon de Pierre Cussac qui répond au piano de Marianne Salmona pour un accompagnement tout en poésie d’Oblivion.
À l'issue de cette soirée chaleureusement applaudie, Gustavo Dudamel reste derrière les chanteurs lors des saluts, comme pour signifier que le concert avait pour unique but de mettre en avant ces jeunes talents.