Lakmé aérienne au Théâtre du Tyrol
Le rideau s'ouvre sur les notes dramatiques, illustrant d’emblée la dynamique de ce plateau entre tension et sérénité, entre le brahmane Nilakantha et sa fille Lakmé. Les chœurs encapuchonnés entrent en procession dans un cortège de tuniques jaune soleil. Lakmé descend du ciel telle une apparition sous de longs voiles transparents, en habits indiens dorés, accompagnée par le “sussurrato” du chœur, avec projections de lucioles, fleurs lumineuses et pétales lancés. Lakmé apparaît même d’abord en déesse Shiva, entièrement peinte en bleu face aux uniformes blancs des anglais et aux ombrelles des dames.
Cet effet d’émerveillement (celui provoqué par l’opéra, celui narré dans l’opéra) sert même de procédé dramaturgique : les anglais sont ici émerveillés par les costumes et couleurs de ce peuple indien tandis que ceux-ci leur dressent l’embuscade et font monter sur scène une grande statue symbolisant mort et destruction.
La couleur, et même les couleurs, sont ainsi données par le metteur en scène et costumier Hinrich Horstkotte avec les décors de Nicolas Bovey. La production entretient l’effet d’émerveillement du public, comme un contrepoint avec l’effet d’étrangeté éprouvé par les Anglais dans cette histoire, en ce territoire inconnu. La production sait aussi employer avec intensité les grandes masses scéniques dans les sections à « refrain ». Le rideau s’ouvrira ensuite sur le bazar d’un marché reconstitué, avec charrettes, panneaux publicitaires indiens et une myriade de couleurs vives. Un spectacle de marionnettes y sera même improvisé, mais, finalement, une partie du plateau est surélevée pour installer au centre les deux amants dans la lumière tragique d’un faisceau latéral.
Annina Wachter chante Lakmé avec des sonorités à la fois délicates et décisives, surtout dans les douces nuances. La finition reste précise, la texture vocale fraîche. Irina Maltseva chante Mallika de son mezzo-soprano au timbre légèrement dramatique, privilégiant elle aussi une aérienne majesté. Dans le fameux Duo des fleurs, leurs deux voix s'entremêlent et jouent avec la précision et la délicatesse de joyeuses teintes (d’autant qu’elles sont alors habillées et maquillés à l’identique, comme formant une seule entité).
Le ténor uruguayen Leonardo Ferrando se distingue dans le rôle de Gérald, par son alliage de romantisme amoureux (vigoureux), une passion vocalement méticuleuse (mais une désorientation trop accentuée dans ses gestes) et la fine musicalité de son phrasé notamment dans l’aigu.
Felicitas Fuchs-Wittekindt brille également dans la clarté de l’aigu en Mlle Ellen avec assurance. Elle entonne une romance où l’agilité rivalise avec la clarté du ton.
Le baryton-basse Matthias Hoffmann quoiqu’encore jeune propose déjà une maîtrise vocale et scénique montrant qu’il a tiré profit de son enseignement et de ses expériences, comme il saisit son rôle de Nilakantha avec une maturité paternelle, un phrasé intense, un aigu pointu.
Rose est confiée à la soprano géorgienne Ana Akhmeteli. Sa présence scénique et vocale est dynamique, réactive, rappelant la diversité de répertoire qu’elle a déjà parcourue. Hadji chanté par Dale Albright offre son jeu et chant avec précision dans ses interventions.
Susanna von der Burg incarne Mistress Bentson d'une allure pétillante, s'appuyant sur sa musique amusante mais avec des tonalités polies. Wolfgang Resch (Frédéric) est dynamique et jovial, chantant avec intensité et précision. Malgré leurs courtes interventions Michael Gann (un diseur de bonne aventure), Jung-Hwan Lee (un marchand chinois) et Julien Horbatuk (Kuravar) offrent respectivement un chant projeté, narré, ferme et rond.
Le jeune chef d’orchestre italien Tommaso Turchetta propose une direction compacte, invitant des sonorités nettes et précises, parfois avec l’ironie de cette partition, parfois électrisant les instruments dans leurs couleurs tantôt orientales, tantôt militaristes. Caractérisé et énergique, le chœur (également maison) fait couler avec naturel l'essence du collectif folklorique, hymnes et mantras, avec couleur et lumière, le tout témoignant d’une préparation précise.
Les longs et chaleureux applaudissements d’un public venu nombreux des contrées du Tyrol saluent cette production et ce théâtre rempli d'âme(s).