Pelly Maîtrise son Voyage dans la lune à l’Opéra Comique
Laurent Pelly a encore frappé : s’il a déjà de nombreux opus d’Offenbach à son catalogue, au point de devenir le metteur en scène de référence sur ce répertoire, voici qu’il y ajoute pour l’Opéra Comique ce Voyage dans la lune, opus complètement loufoque, bien trop rare si l’on se réfère à sa qualité. La finesse de son humour (jusque dans les costumes qu’il signe également) et sa précision chirurgicale, font mouche une nouvelle fois. L’idée de lui associer la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique fonctionne tout à fait : les enfants et adolescents de l’ensemble sont formés à chanter et à danser, ce qui leur permet de se plier aux chorégraphies méticuleuses que chérit tant Laurent Pelly, et qui nourrissent son esthétique comique, tout en leur donnant une présence scénique conséquente, les chœurs y étant omniprésents. Donner des rôles solistes à ses anciens membres est en revanche une prise de risque importante, la technique vocale étant encore trop peu installée pour nombre d’entre eux, notamment parmi les interprètes masculins. Le rôle de Caprice, en particulier, est d’une difficulté et d’une longueur (dont nous parlaient Marie Perbost et Violette Polchi dans notre dossier consacré à la production de cet opus par Génération Opéra) qui met fortement en danger un chanteur trop peu expérimenté. Les Frivolités Parisiennes, emmenées par Alexandra Cravero, complètent idéalement la distribution, apportant leur énergie et leur connaissance de ce répertoire.
La première partie de l’ouvrage se passe sur Terre : Laurent Pelly (et la scénographe Barbara de Limburg) choisit de placer l’action dans une décharge dont les montagnes de détritus encadrent la scène, des bouteilles de plastique écrasées jonchant le sol, émettant un bruit chaque fois qu’un chanteur marche dessus. Après l’entracte, l’intrigue se développe sur la Lune, univers où tout est blanc et arrondi, dans une épure stylisée. Le tout est gracieux, à l’image de l’apparition lente des astres en fond de scène. Le volcan métamorphose le plateau dans un noir de suie, sur lequel le rideau tombe. En effet, des coupes franches ont été effectuées dans le livret (ce qui est logique, l’œuvre originale durant six heures) : le retour sur Terre est notamment escamoté, tout comme la scène du marché aux esclaves, le personnage du Prince Quipasseparla ne passant du coup pas par là.
La Maîtrise, dirigée par Sarah Koné, offre un chant généreux et très en place. S’agissant de voix d’enfants homogènement aiguës, les chœurs ne peuvent s’appuyer sur des basses, mais cela ne nuit absolument pas au résultat et se traduit même par une certaine légèreté dans la conduite vocale. Les maîtrisiens se montrent drôlatiques dans leurs postures de bande dessinée et dans la chorégraphie de chacun de leurs gestes et déplacements.
Franck Leguérinel, qui interprète le Roi V’lan, est le seul soliste d’expérience de la distribution. Il met au service de son personnage ses qualités théâtrales et comiques, qui transparaissent dans son chant, bien émis, par un phrasé heurté.
Arthur Roussel (puisque la version pour ténor a été choisie pour cette production) apporte au Prince Caprice son jeu de jeune premier et un phrasé habile et délicat. Sans doute peu aidé par le stress d’une soirée de première (sa prestance s’affirme d’ailleurs après le long entracte), sa voix encore blanche et peu timbrée manque d’appui et d’ampleur. Son chant requiert toute sa concentration : il en oublie alors des paroles, ou les intentions de son personnage. L’endurance requise par le rôle fait aussi encore défaut, la voix flanchant par moment.
La Princesse Fantasia, dont les caprices sauvent Caprice, est tenue par la jeune Ludmilla Bouakkaz. Son jeu d’actrice réglé comme une horloge, elle croque ses parties musicales d’une voix flûtée et agile, au timbre très pur.
Matéo Vincent-Denoble en Microscope et Enzo Bishop en Roi Cosmos, partagent le même profil de comédiens, truculents et à l’aise scéniquement, dont la technique lyrique est cependant encore mal maîtrisée. En Flama, Violette Clapeyron offre une voix épaisse et chaude, bien projetée, tandis que Rachel Masclet en Popotte montre un timbre déjà mûr, au vibrato léger.
Alexandra Cravero dirige donc Les Frivolités Parisiennes d’une gestique nette et précise, obtenant un son très homogène et des phrasés bondissants et pétillants dans les pages si typiques du style d’Offenbach, sans perdre la volupté des passages plus langoureux (comme la mélodie de l’ouverture qui inspirera plus tard l’air « Scintille diamant » des Contes d’Hoffmann).
L’ensemble des artistes est vivement et longuement applaudi, seul le baisser final du rideau éteignant l’enthousiasme du public. La production (coproduite par Athènes et Nantes-Angers) s’avère un parfait terrain de professionnalisation pour la maîtrise qui y démontre toute la pertinence de son ADN.