Chronique des rêves avec le Philharmonique de Bruxelles
« Je ne rêve jamais qu’une ou deux fois l’année, à peine, mes nuits sont noires, mes jours sont pleins de sens, je ne rêve jamais qu’au milieu du jour, je rêve par métier » Michel Serres, Détachement (1983)
Sous la direction du chef d’orchestre japonais Kazushi Ono, le programme repose sur la vision plus ample de ce qu’est le rêve au Japon : le terme « Mu/Yume » qui couvre un sens plus étendu, puisqu’il dépasse la limite simple du rêve pour s’approcher de la vision, plus divine, plus métaphysique. Le directeur musical invite ainsi à lier les musiques sonores et intérieures à travers celles de quatre compositeurs : quatre propositions de lecture des rêves, quatre images ou omokage (paysage du japon auquel est également dédiée dans ce bâtiment une exposition de Stef Van Alsenoy autour de l’image mouvante en Time Lapse-film accéléré du Mont Fuji). Le programme intitulé DREAMS semble appeler le public à se plonger dans le cinéma d'Akira Kurosawa et son film YUME, de la même signification, voyage halluciné dans le pays du soleil levant et dans l’imaginaire de son auteur.
Chaque opus est lié par les textes lus de Michel Serres et un sound design de Stef Van Alsenoy, le programme s’imposant comme un voyage initiatique avec la musique de la fin du XXème siècle.
De John Adams et sa cinématographique Chairman Dance, des concertos L’arbre des Songes pleins de torpeur d’Henri Dutilleux, des rêves éveillés de Toru Takemitsu avec son Dreamtime jusqu’à l’hybride Dream of the Song de George Benjamin, cet autre réel s’impose avec différents codes narratifs bien personnels. Dissonance, contraste, dissemblance, la musique des compositeurs tisse et plonge dans les liens entre les souvenirs (de moments vécus, vus et entendus).
« Je n’ai jamais oublié cet arbre, ce bouquet de vie flamboyant et reproductif. Ce grand végétal animal est l’arbre des espèces. Il est l’arbre de vie, peut-être, j’ai trouvé l’arbre du savoir » Michel Serres, Détachement (1983)
Sous la direction de Kazushi Ono, l’Orchestre tient comme à son habitude une force organique, précise et mesurée. Le chef, complice, communique physiquement cette énergie qui transparait dans l’orchestre, pour inviter au Fox-trot Mao et son épouse (Chairman Dance de John Adams résonnant avec son opéra Nixon in China). L’arbre des Songes d’Henri Dutilleux invite sur scène la violoniste soliste japonaise Sayaka Shoji, habitée et mystérieuse. Vive, virtuose et extrêmement précise, elle tient son instrument dans un lien de force et de lâcher-prise, coupant le souffle de l'auditoire sidéré.
Les lignes musicales s'étirent plus calmes et mystérieuses pour Takemitsu : un rêve de souplesse au motif précis mais énergique, dont George Benjamin poursuit la sensation de Wabi Sabi musical. Le contre-ténor américain Bejun Mehta qui a créé ce Dream of the Song en 2015 à Amsterdam, confirme sa maîtrise dans cet alliage de musique baroque et contemporaine. D'une approche légère et tenue, les ornementations sont fines, précises et minimalistes. Le souffle maintenu vient accrocher la voix qui monte vers ses appuis. La partition requiert également la présence de huit solistes féminines, issue ici du Vlaams Radiokoor. Placées au cœur de l’orchestre, les chanteuses tiennent les notes éthérées et variées, appuyées et gravement célestes : tel un instrument d’ensemble, à la présence remarquée.
Programme audacieux, ce concert Dreams insuffle des images nouvelles à son public sous le charme, invité ainsi le temps d'une heure aux profondeurs des voyages musicaux intérieurs.