À Bordeaux, l’Ensemble Pygmalion en grand format pour Mendelssohn
La résidence de Pygmalion à l’Opéra National de Bordeaux se poursuit année après année, offrant au public girondin des découvertes inattendues à chaque concert. Parmi ses dernières trouvailles du répertoire allemand (dans lequel la troupe menée par Raphaël Pichon est reconnue à l’international) : Lobgesang, la Symphonie sacrée de Felix Mendelssohn. Et, comme d’habitude, le programme se fait didactique autour de cette pièce maîtresse.
Éclairages du passé
Pour amener le public vers cette partition méconnue, Pygmalion propose en effet un éclairage historique, avec deux œuvres en ouverture : le Motet “Der Geist hilft unsrer Schwachheit auf” (L'Esprit nous aide dans notre faiblesse) de Johann Sebastian Bach et la cantate “Heilig ist Gott” (Dieu est Saint) de Carl Philipp Emanuel Bach. La recette de Pygmalion est désormais bien connue : ancrer un compositeur dans son héritage en faisant entendre une musique familière de son style. Un mode opératoire que Raphaël Pichon applique en ce moment dans le cycle “Les Chemins de Bach”, dont ce concert semble être une émulation.
Une 9e de Beethoven pour l’église
La Symphonie n°2 Lobgesang (Chant de louange) de Felix Mendelssohn est une continuation, un hybride Romantique des cantates baroques. Comme une version sacrée de la Symphonie n°9 de Beethoven, elle pose d’abord le cadre instrumental d’une musique grandiose. Raphaël Pichon a monté pour cette occasion un orchestre fourni, quasi Philharmonique, toujours composé d’instruments d’époque. Le pupitre de cuivres impressionne, notamment avec ces cors naturels. La justesse des attaques et la netteté du phrasé contribue à l’effet de masse orchestrale que la partition demande.
Après ce moment de pure musique, la Symphonie Lobgesang déroule le chant de louange que son titre suggère, en prenant la forme d’un motet classique où les interventions solistes dialoguent avec les passages choraux. Comme à son habitude, le Chœur Pygmalion marque par la clarté du timbre et la précision de la diction, qui rend chaque phrase totalement intelligible, jusque dans les passages fugués. Très attaché au relief dans le traitement du répertoire baroque, Raphaël Pichon applique ses principes de direction à une œuvre Romantique. Son geste est fluide, quasi chorégraphique, et le chœur lui répond, même dans une configuration pléthorique (38 chanteurs annoncés dans le programme).
Les voix au service du texte
Côté solistes, le plateau est constitué d’un ténor, d’une soprano et d’une mezzo-soprano. La partie de ténor est assurée par Robin Tritschler, un spécialiste du genre. Plusieurs fois engagé pour chanter le récitant dans les deux Passions de Jean-Sébastien Bach, il est tout à fait à sa place dans cette “Cantate” Romantique. Sa voix claire et puissante permet au texte de résonner dans toute la salle, particulièrement lorsqu’il conclut sa deuxième intervention en lançant un déchirant “Quand la nuit va-t-elle s’achever ?” : un moment poignant.
La soprano Julia Kleiter est éclatante dans les airs redoutables qui lui sont confiés. Le phrasé délicat de ces poèmes liturgiques rend la ligne de chant compliquée à exécuter, surtout dans la liaison avec les aigus. Et pourtant, rien n’y paraît. Stoïque, mais pas inexpressive, Julia Kleiter parvient à faire passer sa voix par-dessus l’orchestre, et même parfois, le chœur. Une puissance avec laquelle rivalise la mezzo-soprano Hagar Sharvit, qui n’intervient que dans un duo de voix féminines. Entre les lignes fournies de la partition, elle laisse deviner un timbre sombre et chaleureux, à peine voilé.
Après cette performance mettant à l’honneur la qualité de l’Ensemble Pygmalion au grand complet, le public de l’Auditorium, jusque-là très silencieux et attentif, salue chaleureusement les artistes dans de longues minutes d’applaudissement. Le beau lien qu’il a tissé depuis de nombreuses années avec Raphaël Pichon ne semble pas se distendre, ce qui laisse présager encore une fois une salle comble pour le prochain rendez-vous de la saison sur Les Chemins de Bach (compte-rendu à suivre comme toujours sur Ôlyrix).