Marie-Nicole Lemieux, Enchanteresse baroque à la Philharmonie
Comme Marie-Nicole Lemieux l’annonce avec son naturel habituel, son sourire radieux et son délicieux accent québécois, elle aborde pour la première fois ce répertoire. Ce projet initié il y a maintenant deux années par Stéphane Fuget n'en démontre pas moins la pleine adéquation de la cantatrice à ce style de musique. Le programme proposé alterne airs d’opéras et larges récitatifs avec des pages musicales pour orchestre. Il est ainsi possible d’entendre des extraits d’ouvrages connus comme Médée de Marc-Antoine Charpentier, Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair ou Armide de Christoph Willibald Gluck. Mais aussi d’apprécier des ouvrages presque totalement oubliés comme Canente de Pascal Collasse, Omphale d’André-Cardinal Destouches, Les Génies de Mademoiselle Duval ou Médée et Jason de François-Joseph Salomon. Ces ouvrages lyriques ont la particularité d’avoir tous été représentés pour la première fois à l’Académie royale de musique à Paris (hormis Thésée de Jean-Baptiste Lully créé en 1675 au Château de Saint-Germain-en-Laye devant Louis XIV et sa cour). Les cantatrices alors en vogue comme notamment Marie Le Rochois s’investissaient sans égal dans ces rôles d’héroïnes tragiques, femmes puissantes certes, magiciennes comme Médée ou déesses, mais vouées au malheur et par convention amoureuses désespérées. Tous ces sentiments se bousculent au sein de ces pages magnifiques, entre sincérité et ruse, vulnérabilité et sentiment d’abandon, colère et violence, cruauté et vengeance, amour maternel et passion dévorante…
Marie-Nicole Lemieux nourrit son chant de toutes ces composantes avec une ardeur inépuisable et une autorité de l’accent qui se conjuguent à une prononciation modèle. Sa voix de contralto aux graves profonds et soyeux, l’autorité de sa ligne de chant, la beauté du legato, ses envolées vers l’aigu, cette vocalité baroque pleinement assimilée, se mettent au service de ces pages souvent fort exigeantes. Le tempérament de Marie-Nicole Lemieux trouve à pleinement s’exposer jusque dans les notes finales incandescentes (dans l'air de Scylla et Glaucus, "Noires divinités") ou dans les parties rapides de Circé jusqu'au zénith de Médée de Charpentier, avec "Quel prix de mon amour", premier coup de cœur pour cette musique de Marie-Nicole Lemieux.
Stéphane Fuget et son Ensemble Les Épopées proposent un chemin musical semé de certitudes et toujours puissamment expressif sous les notes de la cantatrice. L’harmonie qui les lie est constante, vibrante et toute imprégnée d’un amour profond pour cette musique baroque. Tous les pupitres de l’orchestre sans exception visent à atteindre de façon complémentaire et coordonnée ces objectifs. Ils le démontrent dans les ouvertures choisies -Médée de Charpentier ou Omphale de Destouches- et morceaux divers comme la très belle chaconne extrait toujours d’Omphale.
En bis, les artistes proposent un air de Desmarest et la reprise de la partie rapide de l’air de Circé du même compositeur où Marie-Nicole Lemieux se déchaine pour le plus grand bonheur du public présent : de quoi donner encore plus d'élan à ce concert triomphal repris mercredi 11 janvier au Palais des beaux-arts de Bruxelles (BOZAR). L’opéra-ballet de Mademoiselle Duval, Les Génies dont nous vous avions rendu compte à Sablé sous la direction de Camille Delaforge avec son Ensemble Il Caravaggio sera pour sa part et par eux repris en version concertante avec Marie Perbost le 7 mars prochain dans la Grande salle des Croisades du Château de Versailles.