Vœux Symphoniques de La Monnaie pour 2023, expressives couleurs de l'Est
« Là où le cœur n’est pas touché, il ne peut y avoir de musique » — Tchaïkovski
Afin de fêter la nouvelle année, l’imaginaire froid de la Russie et de nos temps d’hivers viennent se mêler à une expressivité remarquée, touchée par la facture d’une expression galvanisante, annonciatrice d’une riche nouvelle année. Après Le Conte du Tsar Saltan et Le Coq d’Or de Rimski-Korsakov, La Dame de Pique de Tchaïkovski, prochainement son Eugène Onéguine et Le Nez de Chostakovitch, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie fête cette saison son 250ème anniversaire sous le signe d’une Russie des plus expressives. Face aux actualités et aux conflits qui déchirent l’Occident, la musique sait triompher avec brio des sentiments les plus souverains, la baguette du chef dressée vers des contrées plus éthérées.
Retrouvez notre présentation de saison : La Monnaie a du Nez pour 2022/2023
Alain Altinoglu inaugure en effet 2023 en invitant à retrouver les sources classiques-romantiques de la musique russe avec le triumvirat formé par Mikhaïl Glinka et son ouverture de Rouslan et Ludmila, Sergueï Prokofiev avec son 3ème Concerto pour piano et orchestre ainsi que des morceaux choisis de Piotr Ilitch Tchaïkovski, issus de Casse-Noisette et du Lac des Cygnes.
Voyage vers les contrées russes mais aussi voyage vers notre propre intimité, la musique des maîtres slaves peut se vanter d’avoir bercé l’imaginaire de l'enfance, entre Pierre et Le Loup, Casse-Noisette et Le Lac des Cygnes. Alain Altinoglu amène ainsi à se reconnecter avec le moi-profond que les fêtes invitent souvent à retrouver.
Expressive à la mesure du directeur musical, la musique de Glinka marque par une énergie redoutable. L’Orchestre s’accorde à la direction avec une brillance particulière : puissante, tirée avec souplesse, la verve est subtile. Le Concerto de Prokofiev se dessine avec une grande finesse à l’orchestre, l’extrême raffinement des premières notes peignant la nostalgie de paysages jusqu’à forger la frénésie de notes piquées. Le pianiste soliste Sergei Babayan s’exécute avec une maîtrise redoutable. L’expressivité russe et la construction extrêmement variée de ses tempi invite à une psychologie bien particulière, livrant les notes avec une légèreté presque éthérée. Les envolées lyriques sont là, emportantes et colorées, cotonneuses et piquées. Avant de quitter son public à l’entracte, le soliste offre également un morceau d’Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel qui réussit à suspendre le temps d’une salle comble, l’attention du public étant extrême et émotive dans ce concert à guichets fermés, réunissant un auditoire varié (offrant à des familles de transmettre aussi leur madeleine musicale).
Madeleines de plusieurs générations, les morceaux choisis du Lac des Cygnes et de Casse-Noisette clôturent l’événement, Marche et Valse des flocons de Neige invitant alors le Chœur de jeunes de la Monnaie à rejoindre l’Orchestre. Les notes pleuvent à la mesure d’un hiver balayé par le vent, les flocons frappant le visage des plaines jusqu’à l’apparition des tempêtes vocales et de leur voix claires tournoyantes. Les jeunes filles et quelques jeunes hommes au timbre clair tiennent la note avec une simplicité déconcertante. Les sons aériens et innocents, la blancheur de la voix d'ensemble, impeccable comme à son habitude, tient avec justesse la ligne musicale comme dernièrement au concert de Noël.
La violoniste Saténik Khourdoïan interprète deux extraits du Lac des Cygnes : Pas d’Action et la Danse Russe avec une précision extrême. Les notes originelles du folklore viennent se mêler au rythme d’une danse habitée et piquée. L’énergie de la soliste irradie au cœur de l’orchestre qui l’accompagne, organique.
Afin de clôturer le concert, Alain Altinoglu offre à entendre les Danses espagnole, chinoise et russe du Casse-Noisette, des plus imagées (offrant un autre écho féerique en forme de madeleine : celui des dessins de Fantasia).
Ovationné debout par une salle remontée à bloc pour 2023, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie fait ses adieux à un de ses musiciens, Alan Woo. Très émouvant, le discours de l'altiste tient à rappeler à son public l’importance de l’écoute, de l’attention aux autres, à la musique et à l’apprentissage. À l'image de ce concert tenant l'attention de toute une salle avec une écoute d’une qualité remarquée, empreinte d’une générosité émotionnelle retenue.