Roberto Alagna à Gstaad, un Festival dans le Festival
Ainsi vont les charismatiques artistes escortés d’une carrière et d’une réputation au rayonnement international : ils suscitent les attentes les plus prononcées, se produisent devant des salles souvent pleines à craquer, et rarement déçoivent leur public et fans venus les voir et les entendre avec des yeux admiratifs. Roberto Alagna est de cette catégorie là assurément, et voilà longtemps que Caroline Murat, Fondatrice et Directrice artistique du festival, rêvait de le voir venir sur les bords de la Sarine pour célébrer le Nouvel An. C’est chose faite désormais et, après Fedora ayant marqué un retour réussi à La Scala, et avant de se glisser fin janvier dans la peau d’Al Capone aux Folies Bergère, le ténor vedette s’offre une rafraîchissante étape suisse dans le cadre d’un récital ayant pour écrin la jolie petite église de Saanen. Un endroit comme un temple où nombre de fidèles de l’artiste viennent se mêler à une audience portée par non moins de curiosité, pour entendre ce récital au riche et alléchant programme.
Et puisque tant d’admirateurs sont ici venus dire leur amour pour leur chanteur fétiche, c’est avec un air de circonstance que s’ouvrent les réjouissances : “Du moment qu’on aime” du Zémire et Azor de Grétry. Un air tel un hymne à la tendresse qui donne rapidement le ton de la soirée : déjà Roberto Alagna affiche une franche et totale générosité vocale, polissant chaque phrasé par de justes et soyeuses teintes décrivant une tendresse du meilleur effet. Il y a évidemment ce volume sonore dont le chanteur est coutumier et sur lequel le temps semble avoir si peu d’effet, mais surtout ce délicieux usage d’un mezza voce qui se retrouve notamment dans le “Vainement ma bien aimée” du Roi d’Ys de Lalo. Dans ce rôle de Mylio qu’il affectionne, comme en Eléazar (La Juive d'Halévy), ou Samson (Saint-Saëns) l’expressivité lyrique et poétique s’appuie sur la solidité de la ligne vocale et ces subtiles transitions vers une voix mixte pour toucher des aigus aux contours ouatés, un timbre d’une brillance et d’une ardeur volcanique, et la restitution d’une douloureuse affliction par la précision de la langue française, le tout rayonnant et culminant d’une amplitude limpide, de sa projection assurée, et par la chaude lumière de ses intonations.
Le rôle de Lensky lui est moins familier, mais tout de même, et Roberto Alagna n’en est pas moins habité par son personnage, faisant un tour de piano comme une âme en errance pour mieux incarner la torturante nostalgie que dépeint aussi sa voix enflammée, jusqu’à la délicatesse des demi-teintes. Il allie l’élévation avec la vaillance pour l’air de Lohengrin (rôle que le chanteur a ajouté à son répertoire à la fin d’année 2020 à Berlin), chant du cygne qui inspire surtout ici une vitalité à toute épreuve pour un artiste chaudement applaudi alors que le programme vient se conclure sur l’incontournable “E Lucevan le stelle”, toujours aussi fringant.
De cette soirée, le talent de la pianiste Morgane Fauchois est aussi une composante essentielle, parfaite complice de ce ténor qu’elle connaît bien et avec qui quelques regards souriants suffisent à donner une attaque ou à dicter un tempo. De son jeu à la technique sûre et plein de sensibilité, l’instrumentiste livre aussi une vibrante et mélancolique interprétation du Prélude en ré majeur de Rachmaninov.
Le public qui attend certainement un bis, en obtiendra… pas moins de huit, dans ce qui se présente alors comme une véritable seconde partie de soirée, bien plus festive en l’espèce. Certes, l’Ave Maria de Schubert résonne d’abord avec le lieu par une sensibilité introspective, mais voici ensuite que l’artiste décline un enchaînement de mélodies napolitaines qui sont comme autant de madeleines pour le chanteur et pour son public. Le public en redemande, et obtient une interprétation très lyrique de la pièce Les Millions d’Arlequin composée par Riccardo Drigo pour le ballet homonyme de Marius Petipa. Dans la version de Leoncavallo, Au clair de la lune est tout aussi apprécié en pendant des sérénades.
Enfin, un tel récital ne semble pouvoir se finir autrement que par le si populaire Funiculì funiculà que Roberto Alagna convie le public à chanter en se faufilant lui-même dans l’allée centrale pour finalement s’éclipser au fond de l’église, habile manière de communier plus encore avec cette salle qui soudain s’est levée pour chaleureusement applaudir une performance si généreuse et énergique.