Coopérations, coproductions : le Teatro Colón plus ouvert en 2023
Les mois de janvier et février, qui marquent l’été austral en Argentine et l’intersaison du Teatro Colón, prolongent l’euphorie des fêtes de fin d’année marquées par la victoire à la coupe du monde de football. La présentation de la saison 2023 assurée par le Directeur Général et Artistique Jorge Telerman s’inscrit, à l’image de cet événement sportif à résonance universelle, à travers une volonté de s’ouvrir au monde ainsi qu’à d’autres expressions musicales contemporaines.
Divina Italia entre autres nouveaux défis
C’est l’un des partenariats les plus remarquables : la nouveauté du programme Divina Italia réunit le Teatro Colón, l’ambassade d’Italie en Argentine et l’Istituto Italiano di Cultura de Buenos Aires autour de nombreux projets.
Du Caruso à Toscanini, les liens historiques entre l’Italie et le Teatro Colón sont très étroits dans ce temple dédié à Verdi où les chefs d’œuvre du vérisme étaient programmés quelques semaines seulement après leur création à Naples, Milan ou Rome. Au-delà d’une coopération autour du patrimoine artistique (Le Turc en Italie de Rossini, Madame Butterfly de Puccini mais aussi des œuvres instrumentales ou relevant du ballet), Divina Italia repose aussi sur des coproductions sous formes de reprises de mises en scène ou de chorégraphies de créateurs italiens contemporains (concernant la saison lyrique : Stefano Poda pour Faust de Gounod et Damiano Michieletto pour La Veuve joyeuse de Lehár). Dans ce cadre, la soirée « Résurrection » en ouverture de saison présentera ainsi, à l’occasion du 40e anniversaire du retour de la démocratie en Argentine, la Symphonie n°2 de Mahler dirigée par Charles Dutoit et mise en scène par Romeo Castellucci (présentée au Festival d’Aix-en-Provence en 2022), avec les chanteuses argentines Jaquelina Livieri (soprano) et Guadalupe Barrientos (mezzo).
Autre manifestation d’un partenariat renforcé, le programme 2023 du Mozarteum Argentino, émanation de l’institution viennoise, se voit aussi intégré dans le programme officiel du Colón où des orchestres et solistes de renom viendront d’Europe se produire dans la grande salle du théâtre.
Si la musique populaire était jusque-là ponctuellement présente à l’occasion de privatisation de cette même salle, elle trouve officiellement sa place dans la programmation 2023 puisque des stars locales du rock national comme Luis Alberto Spinetta et Fito Páez verront leurs compositions à l’honneur.
À noter que les nouveaux défis du Teatro Colón s’étendront également à d’autres espaces, publics ou privés, de la ville de Buenos Aires : le centre d’exposition La Rural, la salle de spectacle La Usina del Arte ainsi que le site Colón Fábrica (tous deux dans le quartier historique de La Boca), la Plaza Vaticano (qui jouxte le théâtre) sans oublier le Teatro Avenida.
Inflation lyrique
De huit titres en 2022, la saison lyrique 2023 passe à 11, en dépit d’une inflation annuelle proche de 100% qui rend la situation économique très délicate et les dépenses publiques particulièrement contraintes et tendues. Dans ce contexte, les coproductions entre maisons d’opéra s’avèrent salvatrices d’un point de vue budgétaire et artistiquement louables.
Le Faust de Gounod, reprise d’une coproduction du Teatro Regio de Turin, de l’Opéra d’Israël et celui de Lausanne en sera un bel exemple, même si l’on peut regretter qu’aucune voix française n’ait été retenue pour ce titre qui n’a pas été joué depuis 1988 à l’opéra de Buenos Aires. Liparit Avetisyan (Faust), Aleksei Tikhomirov (Méphistophélès), Ekaterina Petrova (Marguerite), Vinicius Atique (Valentin), Florencia Machado (Siébel) et Adriana Mastrángelo (Marthe) formeront la première distribution. Stefano Poda, récemment enrôlé dans un Nabucco remarqué, est l’auteur de cette mise en scène tandis que le nouveau Directeur musical du Colón, Jan Latham-Koenig, sera en fosse.
C’est sous la houlette de Barrie Kosky et la baguette de Marcelo Ayub que La Flûte enchantée de Mozart (ici dans une production du Komische Oper de Berlin) fera son retour au Colón. Anna Siminska sera la Reine de la (première) nuit, accompagnée de Joel Prieto (Tamino), Verónica Cangemi (Pamina), Peter Kellner (Papageno), María Savastano (Papagena), Rafał Siwek (Sarastro) et Pablo Urban qui sera le serviteur de ce dernier. À noter également la présence de la soprano coréenne Hera Hyesang Park (Pamina) et du ténor argentin Juan Francisco Gatell (Tamino), qui fait carrière en Europe, dans le cast B.
Une version de concert d’Anna Bolena de Donizetti sera exécutée par Maurizio Benini, avec sur scène María Agresta dans le rôle-titre, Alex Espósito dans celui d’Henri VIII. Daniela Barcellona chantera Giovanna Seymour tandis que les rôles de Lord Percy et Smeton seront assurés par Xabier Anduaga et Florencia Machado.
The Rake's Progress (La Carrière du libertin) de Stravinsky sera dirigé en scène par Alfredo Arias tandis que Charles Dutoit en assurera la direction musicale, l'occasion d'entendre Ben Bliss (Tom Rakewell), Christopher Purves (Nick Shadow), Giulia Semenzato (Anne Trulove), Patricia Bardon (Baba la Turque), Hernán Iturralde (Trulove), Darío Schmunck (Sellem) et Alejandro Spies (le Garde).
C’est à nouveau en version de concert (direction de Giacomo Sagripanti) que sera donné Il Trovatore de Verdi avec une distribution très attendue, semblable à celle de Tosca il y a quelques semaines : le couple Anna Netrebko / Yusif Eyvazov y interprétera respectivement Leonora et Manrico tandis que le Comte de Luna sera chanté par Fabián Veloz. Anita Rachvelishvili sera à leurs côtés dans le rôle d’Azucena.
Le Turc en Italie de Rossini viendra compléter le répertoire italien. Jordi Bernàcer conduira l’orchestre maison et Pablo Maritano se chargera de la mise en scène, réunissant les solistes Erwin Schrott (Selim alternant avec le croate Marko Mimica), Irina Lungu (Fiorilla), Fabio Capitanucci (Geronio), Santiago Ballerini (Don Narciso), Germán Alcántara (Prosdocimo), Francesca Di Sauro (Zaida) et Santiago Martínez (Albazar).
Pour La Veuve joyeuse de Lehár, Jan Latham-Koenig se retrouvera face à l’orchestre permanent du Colón, tandis que Damiano Michieletto assurera la mise en scène de cette production italienne d’origine (Opéra de Rome et La Fenice de Venise). Le plateau vocal de la première sera composé de Carla Filipcic Holm (Anna Glawari), Rafael Fingerlos (Comte Danilo), Franz Hawlata (Baron Zeta), Ruth Iniesta (Valencienne), Galeano Salas enfin (Camille).
Pour clore les références à l’art lyrique italien, les neuf représentations en trois distributions de Madame Butterfly de Puccini seront un point d’orgue dans cette nouvelle saison. Elena Stikhina (Cio-Cio San), Riccardo Massi (Pinkerton), Guadalupe Barrientos (Suzuki), Leonardo Neiva (Sharpless) formeront le premier cast. Les chefs Jan Latham-Koenig et Carlos Vieu alterneront face à la Orquesta Estable. Livia Sabag se chargera de mettre en scène cet orient de fiction, sur une scénographie dessinée par Nicolás Boni.
Le chef américain Christian Baldini et la metteuse en scène argentine Valentina Carrasco guideront dans La Ciudad Ausente (La Ville absente) de Gerardo Gandini, compositeur argentin s’inspirant du roman de son compatriote écrivain Ricardo Piglia, qui signe le livret de cet opéra contemporain dont la première mondiale eut lieu in loco, en 1995. Le cast puise dans la richesse vocale des ressources locales : Oriana Favaro chantera ainsi Elena, Sebastián Sorarrain interprétera Macedonio, Alejandro Spies incarnera Junior, Pablo Urban prêtera sa voix à Fuyita, Gustavo Gibert sera Russo, tandis que Mariana Rewerski, Constanza Díaz Falú, María Castillo et Santiago Martínez se glisseront dans la peau respective d’Ana, de la Mujer Párajo, Lucía Joyce et du Dr. Jung.
La première latino-américaine annoncée d’Einstein on the Beach de Phlipp Glass sera exécutée en fosse par le chef français Léo Warynski. Les noms des metteur en scène, solistes et récitants ne sont, à ce jour, pas connus. Seule la participation du Chœur d’enfants maison est confirmée. La plage sera décidément un lieu de prédilection pour l’expression lyrique et dès mars 2023 avec Sun & Sea de Lina Lapelytė, sous la direction musicale de la compositrice elle-même. Rugilė Barzdžiukaitė en assurera la mise en scène, comme ce fut le cas pour la présentation de l’œuvre à la Biennale de Venise en 2019. La distribution n’est pour le moment pas précisée.
Au fil des cycles
Le chant lyrique trouvera aussi dans les différents cycles de la saison de quoi satisfaire les plus curieux. L’opéra de chambre viendra ajouter cinq titres sur quatre soirées à la saison officielle. La reprise de Viva la mamma! de Donizetti (production et distribution identiques à celle de l’année passée) précèdera Il campanello du même compositeur (avec le chef Tito Ceccherini et Mariana Ciolfi à la mise en scène). Brecht sera également programmé sous un format 2 en 1 mais au cours d’une soirée unique : Celui qui dit oui sera en doublette de Celui qui dit non (avec respectivement Natalia Salinas puis Martín Matalón en fosse, et Violeta Zamudio suivi du chanteur Nahuel di Pierro à la mise en scène). L’oratorio de Scarlatti Humanità e Lucifero bouclera ce cycle avec la cheffe Mónica Pustilnik et la mise en scène d’Ana Crapis.
La création notable d’un cycle Baroque mettra en vedette des œuvres de Händel, Gluck, Locatelli et Hasse orchestrées par Andrés Gabetta à la tête de la Orquesta Barroca Argentina et chantées par le sopraniste Samuel Mariño et le contre-ténor Terry Wey. Il est également prévu un récital de la mezzo Vivica Genaux et du sopraniste Bruno de Sá avec un ensemble dirigé par Alessandro de Marchi (programmation non précisée). La Cappella Mediterranea emmenée par Leonardo García Alarcón exécutera les Péchés capitaux, programme sur des morceaux de Monteverdi chantés par Mariana Flores, Giuseppina Bridelli, Christopher Lowrey, Valerio Contaldo, Mathias Vidal et Gianluca Buratto. L’oratorio de Händel Le Messie sera interprété sous la baguette Rubén Dubrovsky par Veronica Cangemi et Josh Lovell. À noter également les récitals de la soprano Sonya Yoncheva et du ténor Vittorio Grigolo (dans le cadre du cycle « Grands interprètes »). Quelques concerts de la Orquesta Filarmónica de Buenos Aires verront des chanteurs invités. Daniela Tabernig, Rocío Arbizu, Ricardo González Dorrego et l’Ensamble Coral Música Inaudita se retrouveront aux côtés du chef Baldur Brönnimann pour l’exécution de l’oratorio Il canto sospeso de Luigi Nono. Elīna Garanča donnera un récital avec le même orchestre dirigé par Karel Mark Chichon, tandis que Bryn Terfel et Carla Filipcic Holm, en tandem, participeront à une soirée Wagner dirigée par le chef Ion Marin.
Les intentions du Teatro Colón, pour cette saison lyrique 2023, sont claires : les projets, s’inscrivant dans une « tension vertueuse entre la tradition et l’innovation », selon les propres mots de son Directeur général, sont nombreux, variés et témoignent d’une volonté de retrouver, tant localement qu’à l’international, de l’envergure et de l’ambition, en dépit de certaines imprécisions programmatiques qui, pour l’instant, demeurent et demandent à être dissipées.