Les Arts Florissants au Festival du Nouvel An à Gstaad - les voix s’élèvent pour célébrer l’Épiphanie
Le lien qui unit Gstaad à la musique, et plus spécifiquement à l’art lyrique, est fusionnel assurément. Et il ne se vit pas seulement l’été, lors du Menuhin Festival dont la notoriété n’est plus à établir. Car l’hiver venu, à la frontière de la Suisse romande et alémanique, et quelques semaines avant des Sommets Musicaux eux aussi très appréciés, voici seize ans que le Nouvel An se vit aussi à partitions ouvertes à l’occasion du Gstaad New Year Music Festival qui a accueilli une pléiade de grands artistes lyriques. Lisette Oropesa, Inva Mula, Nino Machaidze, Marina Rebeka entre autres ces dernières années, ou encore Pretty Yende en ce début 2023 : autant d’artistes qui ont tous répondu à l’invitation de la princesse (et pianiste) Caroline Murat, fondatrice et directrice artistique du festival placé sous le patronage de SAS le Prince Albert II de Monaco, avec le soutien de la mécène Aline Foriel-Destezet.
Du prestige et déjà un riche historique donc, mais aussi et surtout de la musique, comme pour ce concert donné dans la charmante église de Lauenen, où Paul Agnew et Les Arts Florissants entendent célébrer l’Épiphanie avec un programme de circonstance. Lequel, en l’espèce, est constitué de pièces mêlant le baroque au religieux, un répertoire dans lequel excelle tout particulièrement l’ensemble fondé par William Christie. Et puisqu’il est question de musique sacrée, l’œuvre de Marc-Antoine Charpentier est largement mise à l’honneur, avec divers motets, cantiques mais aussi ouvertures instrumentales, ainsi que les fameuses Litanies de la Vierge, qui sont autant de partitions placées sous le sceau du solennel et de l’ecclésial. Et qui dit Charpentier dit Jean-Baptiste Lully, évidemment, dont est ici donnée la version du psaume “Omnes gentes plaudite manibus”, alors que cette soirée donne aussi à entendre des pièces des moins connus Guillaume-Gabriel Nivers, maître réformateur du chant grégorien, ou Guillaume Bouzignac, né à la fin du XVIe siècle.
Cinq jeunes chanteurs ont pour mission d'honorer ce menu d’après-fêtes, et la tâche est relevée notamment dans des ensembles où la fusion des voix opère en symbiose, comme dans ce “Transfige dulcissime Jesu” de Charpentier dont la poignante éloquence sonore est un appel à la méditation et au recueillement. Juliette Perret est une soprano à l’instrument vocal aussi assuré que porteur d’une belle lumière dont la flamme ondule au gré des émotions dépeintes. Telle une tisseuse de soie voulant lustrer son ouvrage de la plus belle maille, l’artiste se plaît à longuement étirer les notes avant de les faire vibrer, une manière d’orfèvrerie qui sied parfaitement au programme du soir. Ellen Giacone, qui est aussi une chanteuse de jazz accomplie, montre que le baroque lui réussit avec bonheur. Son soprano est ample et épanoui, la projection est en contrôle constant et le souci d’une articulation précise est perpétuel en cette soirée où les –u sont prononcés à la française (et non en “-ou” comme pourraient pourtant l’appeler les textes latins). La fusion de ces deux voix féminines opère, que les instruments se superposent ou bien qu’ils se répondent dans un même élan de sensible expressivité.
Chez les hommes, Sean Clayton use d’un instrument de haute-contre de fort noble tenue soutenu par une irréprochable technique et une souplesse certaine dans les changements de registre. Igor Bouin dispose d’une voix de (baryton-)basse sonore et bien creusée, au medium charnu, dont il fait un usage distingué, notamment dans le "Cum natus esset Jesus in Bethleem” de Charpentier. Enfin, le ténor de Martin Candela gagne d’autant plus en relief en montant vers des aigus bien assurés. Trois instruments vocaux qui trouvent aussi à s’accorder entre eux (notamment dans d’appréciables séquences a cappella), mais qui épousent aussi les contours sonores de leurs pendants féminins. Quant aux parties chantées à cinq, elles sont saisissantes d’homogénéité et d’éloquence liturgique, comme plongeant par moments au cœur d’une abbaye dont la charmante petite église de Lauenen serait une intimiste chapelle aux alpestres dorures.
Sous la conduite experte du facétieux Paul Agnew, le petit orchestre des Arts Florissants se fend d’une performance dont il est coutumier, riche de son savoir-faire lorsqu’il s’agit de restituer la musique sacrée dans tout ce qu’elle a de plus profond, de plus noble et de plus introspectif. La tonalité est donnée d'emblée par l’organiste Constance Taillard, venue introduire en soliste le concert sur l’orgue remarquable surplombant la nef de l’église.
Après une heure trente de pièces seulement séparées par le pieux silence qu’impose un tel répertoire, le public applaudit chaleureusement chanteurs et instrumentistes qui, venus célébrer l’Épiphanie, se font finalement les rois de la soirée.