Pétillant Concert du Nouvel An à La Fenice de Venise
Le programme est conçu avant tout dans un but fonctionnel puisque diffusé en direct à la TV italienne le jour du nouvel an réunissant plusieurs millions de téléspectateurs mais aussi à destination d’un public hétéroclite constitué bien sûr de vénitiens, d’italiens mais aussi de nombreux touristes présents dans la cité lagunaire pour cette période festive.
Le décor est pensé dans cet esprit festif mais aussi pour la retransmission. Des guirlandes fleuries égayent les balustrades, des bouquets multicolores couvrent l’avant-scène, des miroirs disposés tout autour de la scène réfléchissent les dorures de la salle éclairée. Tout est soigné jusqu’au moindre détail visuel comme les trois couleurs des robes revêtues par la chanteuse (tour à tour noire, dorée et rouge) en symbiose avec les fleurs mais aussi les personnages interprétés.
Le programme s’articule en deux parties distinctes : tout d’abord, une partie symphonique mettant à l’honneur l’Orchestre du Théâtre de La Fenice et l’autre partie lyrique composée de grands airs d’opéra interprétés par deux jeunes solistes accompagnés par le chœur du théâtre, entrecoupée de pièces instrumentales (ouvertures ou interludes d’opéra, extrait de ballet).
Malgré l’aspect éclectique des extraits proposés, un fil conducteur a été choisi pour mettre l’Italie à l’honneur. L’œuvre symphonique interprétée est la 4ème Symphonie dite italienne de Félix Mendelssohn, les airs d’opéra font la part belle à l’opéra italien, notamment ceux qui sont au cœur du répertoire de La Fenice (La Traviata, La Bohème), l’incontournable « Nessun dorma » extrait de Turandot de Puccini, « Casta diva » en hommage à Maria Callas qui entretenait des liens fort avec La Fenice, le traditionnel « Va pensiero » extrait de Nabucco. Mozart (qui résida à Venise) n’est pas oublié notamment avec le chœur final de La Clémence de Titus dont l’action se passe à Rome. Mais aussi Rossini, Pietro Mascagni et une incursion dans l’opéra français avec un extrait de Carmen, peut-être un choix du chanteur qui affectionne le répertoire français.
Daniel Harding insuffle à l’Orchestre du Théâtre de La Fenice son plaisir de diriger et sa joie communicative par une gestique souple, enveloppante et précise. Il propose une version lumineuse de la symphonie italienne toute en fluidité et légèreté, sans aucune précipitation dans les tempi, un sens de la nuance apportant contrastes et dramatisation dans l’alternance des passages tour à tour lyriques, dansés ou plus mouvementés. Chaque intervention de soliste ou pupitre s’articule dans le discours sonore pour fusionner dans des tutti d’une grande homogénéité. La narration est toujours présente, de l’émerveillement provoqué par les paysages italiens à la Saltarelle sautillante en passant par le mystère teinté de tendresse toute intérieure de la marche des Pèlerins à Rome.
La même clarté du discours thématique se retrouve dans les autres pièces du programme, chacune apportant une vision personnelle du chef. Le « Va pensiero » est interprété davantage comme un chant d’espoir, une valse mélancolique et non une prière intense, l’Intermezzo de Cavalleria Rusticana est émouvant, sans emphase. L’ouverture de Guillaume Tell d’une grande allégresse engendre une joie communicative.
Les solistes impliqués cette année sont deux jeunes chanteurs : la soprano italienne Federica Lombardi et le ténor britannique (d’origine italienne par son père) Freddie De Tommaso. La brillance de la voix harmonieuse au vibrato charnu, la souplesse et le sens du phrasé, l’élégance naturelle de la soprano conviennent pleinement pour interpréter la coquette et séductrice Musetta (La Bohème) tout comme le duo « Libiamo » de La Traviata. Dans « Casta diva », la voix présente quelques fragilités, notamment dans le soutien de la ligne vocale, nécessaire pour rendre le legato si particulier à cet air.
Le jeune ténor impressionne par sa carrure et son chant athlétique, sa voix d’airain aux aigus flamboyants, l’homogénéité de sa tessiture, notamment lorsqu’il interprète "Nessun dorma". Il s'emporte toutefois dans une vision vériste du personnage de Don José en exagérant les sanglots dans la voix, les attaques par dessous dans un français peu compréhensible, alors que le chef d’orchestre se détache de tout héritage vériste par un discours mélodique sans pathos. Très préoccupé par la puissance de sa projection vocale, agrippé à son gilet blanc, il en oublie qu’il chante le champagne et l’ivresse dans « libiamo ».
Le chœur préparé par Alfonso Caiani assure une prestation homogène. Après la reprise de Libiamo, le public ovationne l’ensemble de la distribution et prend le chemin de la sortie pour aller fêter la nouvelle année renaissante des cendres de l’ancienne.
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