Gala Offenbach pour le Concert du Nouvel An au Grand Théâtre de Provence
Le Directeur Dominique Bluzet prévient, délivrant quelques mots à l’avant du spectacle : l’heure est à la jubilation – celle du Second Empire, revisitée par l’impertinence de notre temps, et se terminera par du Champagne, offert à l’intégralité du public qui occupe les fauteuils rouges du Grand Théâtre de Provence. Le concert poursuit ainsi sa tournée après Radio France à Paris, avant Châteauroux, Bourges, Dijon et Chalon-sur-Saône. Le programme alterne pièces orchestrales et vocales, extraits d’opérettes et d’opéras-comiques exaltant la richesse contrastée de l’art d’Offenbach : d’instrumentiste amoureux de la voix, d’étranger chantre de la vie parisienne, de compositeur savant animateur de boulevard. Alternent des ouvertures d’œuvres cardinales (Orphée aux Enfers et son célèbre Cancan) et d’autres plus rarement jouées (Madame Favart), avec des airs très connus ("Ah quel dîner" extrait de La Périchole côté dames, Air de Pluton extrait d’Orphée aux Enfers, côté messieurs), sans compter les duos, y compris lors des bis, apothéose de la danse, du chant, du théâtre, voire de l’art circassien ("Le conquérant dit à la jeune indienne" extrait de La Périchole) !
Les interprètes, qui abordent des pièces extraites de leur contexte, se font ainsi caméléons, bateleurs lyriques et symphoniques pour reconstituer voire outrepasser, dans la petite durée de chaque page, toute la charge humoristique et le charme dramatique de leur opus d’origine.
Ces artistes, côté chant, sont la soprano (colorature) Patricia Petibon et le ténor Cyrille Dubois, virtuoses fluides et insaisissables, capables d’aborder des répertoires divers, de faire entrer leur vocalité dans la danse stylistique d’époques et de registres différents, populaire et/ou savant, d’intégrer à leur interprétation tout un nouveau contexte, revisité par leur personnalité fantaisiste et imaginative, mais toujours canalisée par l’art rigoureux du chant lyrique.
La soprano Patricia Petibon, se prête, voire inspire, une interprétation dans laquelle le théâtre comique l’emporte sur l’art lyrique. Tout son jeu de scène est jubilatoire, depuis un corps d’actrice qu’elle contorsionne avec des gestes de sorcière shakespearienne, manipulant d’improbables accessoires fleurant bon le Second Empire (binocle, époussette). Elle s’approprie les protagonistes de la scène, traverse le mur de l’orchestre, y pénètre comme dans un coffre à musique. Le chef est particulièrement visé, partenaire débonnaire et attentif, qu’elle apostrophe et malmène, lui collant une fausse moustache, lui défaisant les lacets, rouges pour l’occasion.
Côté voix, le charme de son timbre, patiné, fait de franc soleil et d’ombres inquiètes dans les extrêmes de sa tessiture, opère : roucoulades nocturnes – depuis une gorge bien sollicitée par Offenbach –, saillies coloratures fortissimi. Ces lignes vocales polarisées vers les extrêmes sont celles qui permettent à la soprano de tirer son épingle du jeu, côté décibels, tant les airs choisis sont davantage à leur aise avec une tessiture de mezzo pour lesquels ils ont été écrits, en particulier dans son medium. Mais l’investissement expressif, la clarté du phrasé, l’art du rubato – jeu avec les retenues et les accélérations de tempo – sont premiers. En outre, la chanteuse, qui se laisse traverser par les soubresauts et les langueurs de la musique, s’empare du timbre de tel ou tel instrument – flûte, hautbois, clarinette, violoncelle... – pour y conformer le sien, et poursuivre ainsi le geste orchestrateur d’Offenbach.
Cyrille Dubois, surgissant sur la scène, jubile à ses côtés ou en solo, adoptant les rôles improbables des extraits choisis (du Tailleur amoureux de La Fille du tambour-major, au Pluton d’Orphée aux Enfers). Affublé d’un béret de marin ou encore de cornes rouges, il fait subir à son corps souple toute une panoplie de mouvements, du plus vaporeux au plus martial. Miroir masculin de la soprano, il occupe l’arrière, l’avant et l’entre-scène, comme une bulle dans une coupe de Champagne. Sur le plan vocal, son timbre flûté ou nasillard, selon les besoins du rôle, est bien projeté. Les aigus sont épanouis et galbés, une fois passées les premières notes de la soirée. L’émission est contrôlée, depuis une démonstration vocale naturelle qui dissimule un savoir-faire technique virtuose, mais qui, comme chez sa partenaire, ne s’impose pas en majesté au-dessus de l’orchestre.
L’Orchestre National de France « fait son récital », d’une page symphonique à l’autre. La gestique précise d’Enrique Mazzola, nette, énergique, est souvent très retenue mais finalement explosive, tant le chef travaille les tempi de cette musique avec une conception originale et savoureuse. La dynamique est appariée avec les alliages sonores – tutti et soli – pour permettre à l’auditeur de comprendre comment fonctionne cette musique, sa forme séquencée, ses contrastes d’humeur, ses entrelacs soyeux et évocateurs, ses fanfares vitaminées. Le petit refrain rassurant arrive après un moment d’incertitude, que le chef s’emploie à étirer, et qui montre combien le monde d’Offenbach est complexe, sa manière contractée, passant en quelques secondes d’une texture tremblante surgie du silence à la trivialité décomplexée.
Le public en redemande, immédiatement, en saluant l’ensemble des protagonistes. Un duo particulièrement bien choisi par les chanteurs, musiciens avant tout, témoigne de leur humilité exemplaire : « J’aime tout ce qui sonne », extrait de L'Île de Tulipatan. Un savoureux échange a lieu avec tel ou tel instrument soliste, dont les chanteurs griment le jeu, avec force « pouet pouet » et « raflafla ». Décidément, ce soir, c’est la voix qui se met au diapason de la musique instrumentale.