L'Auberge du Cheval Blanc en folie à l'Opéra de Marseille
Cette opérette d'outre-Rhin est ici donnée dans sa version en français (d’après le livret de Lucien Besnard et René Dorin), avec des surtitrages en français parfois bien nécessaires. En lieu et place d'une ouverture traditionnelle, une des vidéos d’Étienne Guiol est proposée pendant quelques mesures d’introduction, suivie de cordes soyeuses et discrètes, d’onomatopées tyroliennes, avec yodel chanté par Kathi sur son trapèze, qui s’envole ensuite vers les cintres du théâtre. Miss Helvetia incarne ce personnage récurrent, séduisant et facétieux, avec bas résilles et chapeau haut de forme. Kathi donne même avec succès une leçon de yodel aux spectateurs, durant le deuxième acte.
La mise en scène de Gilles Rico est dans l’esprit d’une opérette version comédie musicale spectaculaire, alternant passages parlés, chants et de nombreux intermèdes dansés et burlesques, voire déjantés. Près de la cabane aux Vaches, un personnage promène même un artiste déguisé en chien rose pelucheux, marchant à quatre pattes. Un autre intervenant, vêtu seulement d’un grand tutu et d’oreilles de lapin dorées, évolue durant ce passage dansé où les jeux de lumière, gérés par David Debrinay, évoquent un cabaret.
Chanteurs et choristes sont sollicités pour danser, jouer la comédie et parfois s’élever dans les airs sous les cintres. Clara et Célestin chantent leur duo sur un télésiège doré, qui s’envole lentement vers le ciel.
Les décors de Bruno de Lavenère sont fastueux. L’intérieur de l’Auberge est en forme de demi-cercles noirs en arrière-plan, de dimensions variables, bordés d’ampoules, qui clignotent au moment de l’orage. Un grand escalier central évoque le Casino de Paris, des petits carreaux de mosaïque ornent le comptoir circulaire et des statues dorées de chevaux achèvent de transformer cette Auberge en hôtel cinq étoiles.
Les costumes de Karolina Luisoni transportent tantôt au début du vingtième siècle, avec les domestiques de l’Auberge en livrée violette et blanche, tantôt dans un cadre contemporain. Célestin, traité de cacatoès par Bistagne arrive vêtu d’un pull jaune, d’une veste en cuir et porte une perruque rousse, dont une mèche s’envolera.
Laurence Janot campe l’aubergiste Josépha avec autorité et prestance. Très élégante dans ses tenues rouges, elle chante d’une voix souple aux graves timbrés, aux aigus fluides. Dans "Ainsi va la vie" la note finale pianissimo est soutenue par le souffle, qui ne se relâche pas et est appréciée par le public.
Sylvabelle est incarnée par Clémentine Bourgoin. Le médium est rond, les aigus soyeux, mais l’ensemble manque cependant d’ampleur. Julie Morgane interprète le rôle de Clara, fille zozotante du professeur Hinzelmann, avec une ligne vocale bien articulée malgré ses postures acrobatiques. Le médium est parfois trop léger, mais les aigus sont clairs.
Perrine Cabassud en Zenzi se rappelle aux souvenirs des habitués des lieux en harmonie avec le chœur.
Le rôle théâtral de Bistagne, arrivé de la Canebière, échoit à Marc Barrard, personnage truculent, dont l’accent marseillais n’est pas toujours constant, mais dont les propos humoristiques seront le principal ressort comique de cette mise en scène (“Marseille est la première ville de France. L'hymne national est La Marseillaise, pas la parisienne.”).
Léo Vermot-Desroches incarne Léopold. Sa voix de ténor aux aigus charmeurs possède un médium un peu feutré, parfois couvert par l’orchestre, et le texte n’est pas toujours compréhensible. Samy Camps interprète un Maître Florès charmeur, au timbre lumineux, avec des aigus brillants. Les paroles sont nettement articulées. Fabrice Todaro campe un Piccolo au texte parfaitement compréhensible, à la voix claire, aux interventions théâtrales nombreuses et dynamiques. Célestin est confié à Guillaume Paire. La ligne musicale est nettement articulée avec des graves denses, timbrés et un médium souple.
L’Empereur, joué avec conviction par Francis Dudziak, est un personnage totalement déjanté. Descendu dans une nacelle, vêtu d’une jupe rouge, il se présente comme un acteur comique, sera travesti en robe blanche pour son dialogue avec Bistagne. Mais il déclame aussi un texte mélancolique sur la destinée, évoquant sa cœlioscopie. Jean-Luc Epitalon incarne Hinzelmann, sorte de savant fou, aux propos alambiqués, efficacement énoncés, rappelant le professeur Tournesol.
Le Chœur de l’Opéra de Marseille chante et danse avec énergie, suivant les variations de tempo et les consignes indiquées par Didier Benetti, qui assure la direction musicale. Sa baguette imperturbable, dirige avec précision l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, dans un accompagnement particulièrement jazzy, où les percussions jouent un rôle important, en particulier la caisse claire.
Le finale réunit les artistes sur les marches de l’Auberge, tous chantent la ritournelle célèbre de “la bonne Auberge du Cheval Blanc”, scandée par les battements de mains d’une partie des spectateurs, mais pas tous. Devant des audaces scéniques et pailletées bien plus poussées que la matière vocale (dans ce spectacle très exigeant pour les interprètes devant jouer, chanter et danser), quelques-uns ont quitté l’opéra à l’entracte, d’autres marquent leur désapprobation et n'applaudissent pas. Après le baisser de rideau, l’orchestre joue un ultime morceau pendant la sortie du public.