Quatre âmes slaves au Théâtre des Bouffes du Nord
Alternant musiques instrumentales, chansons tziganes et romances sur des poèmes d’Alexandre Blok, le jeune trio devenu pour l’occasion quatuor avec voix embarque le public plein Est. Entre chants populaires et savants, entre poésie et musique, ce sont autant de vies et de sentiments qui sont évoqués, du patriotisme à la mélancolie d’une enfance perdue en passant par l'évocation d’un amour douloureux.
Le programme et l’ambiance solennelle qui règne dans ce théâtre (et résonne tout particulièrement avec son style volontairement décrépi) s’articule sur deux trios emblématiques. Celui composé par Anton Arensky (formé par d’illustres compositeurs russes) représente la “Toska”, forme de nostalgie de l’Oural. Celui composé par Vítězslav Novák (élève et héritier de Dvořák) se rapproche de l’espoir mâtiné de fatalisme : “Avos”, ici entre coups du destin et vols d’oiseaux.
La respiration profonde de la violoniste Camille Fonteneau avant chaque grand coup d’archet, insuffle encore plus d’émotion à son instrument et à ce répertoire. Émotions qui se répercutent inexorablement sur son compère violoncelliste, Raphaël Jouan dont le visage rempli d’expressions joue aussi les notes. Le pianiste Alexis Gournel accompagne leur justesse et précision implacables, lui aussi avec finesse quand il faut et puissance quand il doit, toujours en rythme et harmonie.
Si tout est accordé ce soir-là, de la musique jusqu’aux tons de la robe cramoisie de la violoniste, la mezzo-soprano Albane Carrère paraît légèrement moins à son aise dans la langue de Tolstoï. Si la voix de la soliste se fond pleinement dans les nuances du récital, ni trop discrète, ni trop puissante, l’accent français demeure en (très) léger décalage avec l’âme du texte. Tout cela ne l’empêche cependant pas de déployer son ambitus et même davantage, des graves de mezzo à des aigus soprano. Avec un vibrato ample et crescendo tout le long du concert, la voix vient progressivement porter dans les recoins de la salle, malgré un souffle parfois quelque peu haché. Le timbre chaleureux apporte une lumière tout à fait appréciable dans ce théâtre gris.
Le quatuor propose en bis une chanson narrant l’histoire d’une fille se remémorant les berceuses de sa défunte mère en les chantant à ses enfants : moment d’émotion final récompensé par les applaudissements retentissants du public parisien.