Les Cygnes sauvages par le Chœur de Radio France
Si la France a oublié Carl Reinecke, il fut pourtant un compositeur allemand remarqué de la fin du XIXe siècle. Ce troisième concert du cycle « Chorus Line » est donc pour le Chœur de Radio France, l'occasion de faire découvrir l’une de ses œuvres les plus jouées encore en Allemagne : Les Cygnes sauvages sur un livret de Karl Kuhn inspiré du conte de Hans Christian Andersen. Haïs par leur méchante belle-mère, onze princes sont changés en cygnes durant le jour tandis que leur jeune sœur Elfriede est chassée. Celle-ci les retrouve et, grâce à l’intervention d’une fée, pourra enfin rompre la malédiction à condition de leur tisser des manteaux avec des orties et de garder le silence tant qu’elle n’aura pas terminé sa tâche. Cependant, elle rencontre un prince et ils décident de se marier. Malheureusement, le mystérieux silence et les étranges cueillettes d’orties dans un cimetière convainquent l’entourage du prince que sa fiancée est une sorcière. Protégée par ses frères et terminant en prison sa longue tâche, elle parvient à rompre le charme et peut enfin révéler le secret de son silence. L’œuvre se termine par un duo de bonheur et un chœur plein de joie.
Cette œuvre pour chœur de femmes et solistes devait initialement être précédée ce soir par cinq chœurs pour voix d’hommes de Franz Schubert, mais en raison d'un maléfice (nommé Covid-19), ces pièces sont annulées et l’univers charmant de cet opéra de poche de Reinecke se voit agrémenté de pièces instrumentales, insérées avec pertinence dans l’œuvre même.
La narration est assurée par la voix posée et chaude d’Éric Ruf (administrateur général) de la Comédie-Française.
Sous la direction souple, caressante et néanmoins précise de Lionel Sow, les dix-huit femmes du Chœur de Radio France font preuve de leur harmonieux travail, particulièrement lors des moments à l’unisson. La langue allemande est limpide, les nuances aussi subtiles qu’évidentes. Les pages à trois voix révèlent une musique colorée avec douceur et savamment équilibrée, avec un délicat accompagnement.
Tous les solistes de ce soir sont issus du Chœur de Radio France, montrant la qualité individuelle de chacun de ses membres. La belle Elfriede est interprétée par Manna Ito dont les premières interventions manquent un rien d’assurance et de souffle (d’où des attaques un peu sèches et des fins de phrases moins certaines). Néanmoins, le soin du texte est immédiatement patent, ajoutant en intentions nuancées. S’adressant directement à son auditoire, la soprano transmet son chant en le projetant grâce à un vibrato présent et un timbre teinté de métal. Le Prince est incarné par le baryton Patrick Ivorra, dont la présence investie et très sûre partage un timbre très rond et large avec une conduite de phrasés longue et fluide, tout à fait romantique et parfois volontairement insolente (à l’image aussi du prince charmant des contes de fées). L'auditoire salue également les interventions de l’alto Elodie Salmon en Reine, pour la diction des consonnes, le chant affirmé d’un timbre clair avec un soupçon boisé, souple et très légèrement assombri, ainsi que celles de l’alto Isabelle Sengès en Fée autoritaire au timbre sombre, porté par un vibrato large et néanmoins souple comme ses phrasés, agréablement longs. Les sopranos Alexandra Gouton et Barbara Vignudelli apportent leur timbre riche, lumineux pour l'une et chaleureux pour l'autre, de manière très équilibrée lors du quatuor de solistes du Chœur des anges et de la courte intervention en duo d'oiseaux.
La pianiste Caroline Marty se fait attentive, bien que son touché manque parfois de liant et d’une main droite plus présente. Elle est toutefois bien agile lors du Chœur des souris et des alouettes. Le violoncelliste Yan Levionnois est aussi l’interprète privilégié des pièces instrumentales ajoutées à la dernière minute dans le programme, proposant ainsi un lyrisme presque nostalgique et tout à fait romantique pour Traüme (Rêves) extrait des Wesendonck-Lieder de Richard Wagner, tout aussi à propos avec Der Leiermann (le joueur de vièle) du Voyage d'hiver de Schubert et le Cygne du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, avec la harpiste Emilie Gastaud.
Les bravi fusent et les longs applaudissements sont remerciés par le Chœur des Cygnes, majestueux et poétique tels ces oiseaux qui ont tant animé les rêves romantiques.