Marc Mauillon et Anne Le Bozec, Fauré tout simplement au Théâtre de l’Athénée
Gabriel Fauré composa des mélodies tout au long de son existence et les trente et une inscrites au programme de ce soir invitent l’auditoire à une immersion dans l’univers du compositeur français. Seules les mélodies isolées y figurent (ou deux mélodies isolées du cycle “de Venise” et un bis) et leur présentation chronologique laisse entrevoir l’évolution du compositeur avec ce genre, du premier opus (la première œuvre de son catalogue), Le Papillon et la Fleur jusqu'à Chanson (opus 94). Afin ne pas perturber cette immersion, le public est tenu de ne pas applaudir entre les pièces et, la présence d’un piano de collection Érard datant de 1877 (sur lequel Fauré aurait pu jouer) ainsi que le dispositif lumineux de Catherine Verheyde évoquant la lumière des bougies, plongent l’auditoire dans l’atmosphère feutrée des salons de l’époque.
Les artistes indiquent sur le programme que le choix des mélodies a été « guidé par la grande diversité des poètes que Fauré a mis en musique », des noms notoires comme Verlaine, Baudelaire, Hugo, Gauthier… mais également des auteurs moins connus, tels Albert Samain, Armand Silvestre, Louis Pomey, Marc Monnier qui faisaient partie des cercles d’amitiés artistiques.
Après une adresse explicative au public et des remerciements à l’équipe des Lundis Musicaux de l’Athénée, les artistes embarquent pour une heure et quart de musique, naviguant de mélodies en mélodies teintées de rêve et de mélancolie.
Marc Mauillon semble heureux de proposer ce programme de mélodies, répertoire qu’il a abordé au cours de sa formation (comme grand nombre d’apprentis chanteurs) et qu’il revisite aujourd’hui riche d’une maturité vocale et de son expérience musicale. Force est de constater que son attention va tout d’abord aux textes et à leur intelligibilité, son geste vocal tout orienté vers cette priorité. La voix est claire, directe, sans grand vibrato, émise très simplement (ce qui rappelle que si quelques mélodies étaient destinées à des chanteurs d’opéra, la plupart étaient composées pour des chanteurs amateurs). Si parfois le chanteur semble gêné par une toux hivernale faisant entendre quelques raucités, il préserve cependant la simplicité, rendant touchants certains textes qui pourraient paraître aujourd’hui quelque peu désuets (Le Papillon et la Fleur, Les Roses d’Ispahan) et n’exagérant jamais le pathos de certaines (La Chanson du pêcheur, Larmes). Sa tessiture de baryténor lui permet une présence aisée aussi bien dans le grave que dans l’aigu et c’est en conteur qu’il fait surgir les personnages de Mandoline.
Il porte son parti pris du texte avant tout sans concession, ne couvrant jamais les voyelles pour ne pas les déformer et ceci même dans l’aigu. Ainsi, les notes culminantes dans Sérénade toscane (« je t’aime ») ou dans Notre amour (« est chose éternelle ») sonnent-elles quelque peu claironnantes, plus dans l’esprit du cabaret et de la chanson. Cette posture est assumée par le chanteur qui se présente davantage comme chansonnier que comme chanteur lyrique, laissant le flux mélodique s’épanouir sans jamais l’affecter. C’est avec humilité qu’il interprète les œuvres du maître français, apparaissant comme un véritable intermédiaire, l’équilibre musique-texte toujours préservé.
L’équilibre et le naturel résident également dans la proposition pianistique d’Anne Le Bozec, complice de longue date, et connue comme spécialiste de la musique de Gabriel Fauré. Avec un art du phrasé et de la coloration, les parties piano chantent incessamment et les formules d’accompagnement apparaissent aussi précieuses que les riches contrechants des mélodies. Sur le piano Érard aux aigus clairs et définis et aux graves profonds, elle devient peintre des sons, suggérant l’agitation de l’eau, la brise délicate, le glissement des bateaux dans La Fleur qui va sur l’eau, restituant la délicate rêverie de Clair de lune.
L’auditoire semble suspendu aux lèvres et aux doigts des artistes et, après avoir contenu ses applaudissements (et ses toux), laisse éclater son bonheur. Les musiciens offrent en bis Vaisseaux, nous vous aurons aimés, ultime mélodie du dernier cycle de Fauré, L’Horizon chimérique (op 118), et, afin de profiter du précieux piano de collection, ils choisissent Clair de lune pour achever la soirée.