Une soirée chez Offenbach à la Philharmonie de Paris
C’est dans la Grande salle Pierre Boulez, toute faite de boucles et de courbures, que l’Orchestre national d'Île-de-France dirigé par Karen Kamensek, accompagne les voix de Loïc Félix et Anaïk Morel, incarnant des personnages d’Offenbach.
Si Orphée aux Enfers, La Périchole, Les Contes d'Hoffmann, La Belle Hélène, La Vie Parisienne ou encore La Grande-Duchesse de Gérolstein font partie de ses plus grands succès, le public prend également plaisir à découvrir ou redécouvrir un pan moins connu, mais non moins plaisant de l’œuvre du compositeur avec La Princesse de Trébizonde, Fantasio, Le Château à Toto, mais aussi La Fille du tambour-major.
Toutes ces œuvres sont rendues par l’Orchestre national d'Île-de-France dont la devise est « Partout et pour tous en Île-de-France » (ce programme s'est ainsi rendu à Rueil-Malmaison, Cachan, Puteaux, Yerres, Maisons-Alfort et Rambouillet). Karen Kamensek guide avec expression et précision cet ensemble, qui, tout autant que les solistes, brille par sa justesse et se distingue notamment dans trois morceaux : deux ouvertures d’opéra et la fameuse Barcarolle des Contes d’Hoffmann. Là, le spectateur se laisse aller selon les mouvements subtils et délicats qu’exercent les notes jouées par les musiciens. Graves et tonitruantes, elles se métamorphosent par la suite en valses et badinages plus légers avec simplicité et sans fioritures.
Si parfois le rythme des percussions connaît quelques ratés, Karen Kamensek sait néanmoins laisser suffisamment d’espace à ses musiciens pour que certains se démarquent. C’est le cas de Bernard Le Monnier, violon supersoliste, dont le solo romantique aux aspects baroques dans l’ouverture d’Orphée aux Enfers donne vie à une valse nuancée, alternant avec nuance entre les temps forts et les temps légers.
Cet orchestre est le décor qu’utilisent la mezzo-soprano Anaïk Morel et le ténor Loïc Félix pour donner vie à leurs personnages (certains des spectateurs fermant les yeux, sûrement pour mieux s’imaginer les personnages en costumes ou dans une mise en scène, ou plus simplement pour mieux profiter de l’harmonie des voix d’Anaïk Morel et Loïc Félix, dont la dynamique de duo ferait presque oublier la sobriété du cadre).
Ils entrent tous deux, lui dans un costume noir, elle, vêtue d’une longue robe à la jupe rose poudrée. La sobriété de leurs tenues permet aux deux comédiens de se glisser plus facilement dans les différents caractères qu’ils interprètent, tantôt gais voire aguicheurs, tantôt tristes ou contrariés. L’alchimie à l’œuvre entre les deux chanteurs et leur incarnation simple mais poussée des personnages, fait apparaître devant les spectateurs le Brésilien faussement aristocrate et la gantière maniérée de La Vie Parisienne, Jupiter changé en mouche tentant de séduire Eurydice (Orphée aux Enfers) après un jeu de cache-cache derrière les musiciens, entre autres. Les sept duos qu’ils interprètent ensemble sonnent justes, accordés dans la badinerie comme dans la dispute amoureuse, le tout accentué et dynamisé par des petits pas de danse. Cependant, une envie de trop bien faire pêche parfois par excès de zèle et se retourne contre les deux chanteurs : c’est le cas lors de leur interprétation de « Vas-t-en donc chercher les gendarmes » (Le Château à Toto), où leur cadence est plus rapide que celle des musiciens. Toutefois, mimiques, grimaces et expressions exagérées sont au rendez-vous pour la plus grande joie des spectateurs, hilares devant ces scènes de la vie conjugale.
Anaïk Morel, mezzo-soprano au répertoire plutôt classique, brille par son coffre puissant et la justesse de ses aigus. Cependant, à plusieurs reprises, sa voix est dépassée par la tonitruance des instruments censés la rehausser, à tel point qu’elle est parfois inaudible. Sa ligne vocale tombe alors un peu à plat, altérant ainsi l’aspect dramatique de sa tessiture. Ses graves sont inégaux, son souffle haché paraît aussi quelque peu forcé, et son phrasé peu compréhensible. Pourtant, cela n’enlève rien à la chaleur de son timbre, qui sait également exceller dans les aigus avec agilité. Dans l’air « Dites-lui… », son jeu ainsi que sa voix s’accordent ainsi pour rendre toute la tristesse voilée du personnage de La Grande Duchesse de Gérolstein, prisonnière de sa propre puissance.
Quant à Loïc Félix, « ténor au tempérament d’acteur » selon le programme distribué au début du spectacle, l’art de l’opérette est l’un de ses terrains de prédilection. Le fait qu’il a déjà interprété des rôles de ce répertoire sur scène lui confère une aisance particulière qui lui permet d’atteindre aussi bien les graves que les aigus. Grâce à son articulation impeccable, le spectateur ne perd pas une miette des paroles qu’il interprète (même celles du Rondeau du Brésilien !), et son jeu nerveux rythme sa voix chaude avec ferveur et agilité. Si, en de rares occasions, son souffle s’épuise avant la fin de ses phrases, son incarnation des différents personnages pallie cette faiblesse relative.
Une heure trente d’allées et venues sur scène, d’échanges entre les deux chanteurs et les musiciens, de mimiques et de trémolos ne sont pas assez pour appréhender toute l’œuvre d’Offenbach et suffire au public, mais pour en capturer l’essence (et les sens) assurément.
Les applaudissements rythment les salutations de Karen Kamensek, Anaïk Morel, Loïc Félix et des musiciens (dont certains portaient des bonnets de Noël) à la fin de la représentation, saluant cette prestation dynamique et généreuse d’artistes guidant simplement et avec une honnêteté presque intime le public vers l’univers artistique du compositeur.