Un hiver plus coloré à La Monnaie avec Ian Bostridge et Sir Antonio Pappano
Ensemble, les interprètes abordent l’un des cycles les plus marquants de l’histoire de la poésie musicale, figurant l’errance d’un voyageur solitaire à travers le paysage gelé de son cœur brisé. La Monnaie de Bruxelles invite son public à se recueillir autour de l’exercice (ici presque) intime du récital offert par le chanteur spécialiste du Lied en compagnie de l’Orchestre de chambre de la Monnaie sous la direction de Sir Antonio Pappano. Au programme, un hommage à nos temps froids grâce au romantique Winterreise joué dans une version orchestrale et moderne d’Hans Zender.
Certes, le romantisme typique de Schubert, son voyage initiatique solitaire en forêt glacée aident à renouer avec la froideur de notre hiver, cependant la version d’Hans Zender s’impose avec une énergie nouvelle et radicale. Si l’idée du Lied est supposée être la plus intime possible autour d’un clavier et d’un chanteur, la venue de l’ancien directeur musical de La Monnaie de 1992 à 2002 ainsi que l’anniversaire des 250 ans de l’Orchestre Symphonique se veut grandiose, et même dans ce format l’orchestre s’impose ici avec verve.
Cette version se trouve particulièrement riche, musicalement parlant, intriquée entre les notions de fidélité musicale à l’originale, et prise d’une réalité sonore plus actuelle.
« J’ai passé la moitié de ma vie à rechercher dans mes interprétations la fidélité maximale au texte – notamment dans les œuvres de Schubert que j’aime profondément –, pour reconnaître aujourd’hui qu’une interprétation fidèle à l’original ne peut pas exister. » Hans Zender
L’Orchestre de chambre de la Monnaie marque par la diversité de ses instruments. Outre les classiques violons, altos, violoncelle, contrebasse, flûtes, hautbois et clarinettes, d’autres instruments plus étranges trouvent place aux côtés des bassons, cor, trompette, trombone, harpe : percussion nombreuse (marteaux et bloc de métal), accordéon, bâton de pluie et héliophone (machine à vent). Inspirée par des courants variés comme le jazz, tango, musique concrète, sons ambiants, la musique hybride de Zender se place dans l’interstice des mélodies, mêlée à des sonorités plus mondiales.
Les musiciens apportent une part personnelle d’interprétation, la musique puisant systématiquement ses libertés dans la personnalité de chaque instrument et ses mouvements. Ces différentes possibilités de lecture et niveaux d’interprétation musicale donnent à entendre une version hybride et radicale, chaque ligne étant puisée dans l’orignal et comme rejouée.
La direction de Pappano s’offre organique et énergique, encourageant la liberté de chaque musicien dans un dialogue en harmonie (entre eux et avec cette version). Ample, la musique en ressort fluide et équilibrée, les sons ambiants venant ponctuer la musique romantique en symbiose. Ces retrouvailles du maestro avec la maison mère sont marquées par l'espièglerie de liens renoués.
La prosodie du chanteur Ian Bostridge, évolutive à la mesure de la partition, sert ce renouvellement en plaçant sa voix profonde et inclinée dans un romantisme vif et véloce. La prosodie modèle et sa liberté de ton s'imposent au service de la version personnelle d’Hans Zender. Conteur, le chanteur s'y improvise picturaliste, ajoutant les couleurs généreuses à sa voix.
Schubert, Zender, Pappano et Bostridge s'accordent dans une dimension toujours nouvelle et fidèle aux poésies dont le chanteur rappelle qu'elles se développent sous différentes formes à travers une variété d’interprètes, cette version d’Hans Zender y rendant hommage à la façon d’un miroir analytique. Le chanteur avait d'ailleurs présenté une version scénographique de ce Winterreise version Hans Zender, intitulée The Dark Mirror.
L’opus s’en trouve accessible pour tous, chacun se reconnaissant dans les différentes facettes de chaque illustration des poèmes.
Le public ovationne ce concert qui contribue assurément à réconcilier avec l'hiver.