Aida démesurée au MET
Pour cette Aida, le Met (en la personne de Stephen Pickover) reprend la production de 1988 de Sonja Frisell, Gianni Quaranta et Dada Saligeri, un nouveau Cleopatra (film de 1963 réalisé par Mankiewicz), avec statues monumentales, palais, tombeaux, et scènes gigantesques et ballet sur scène. Cette production met en effet l’accent sur une mise en scène à grand spectacle, Hollywoodienne, faisant rêver de pharaons bien après la fin de l’opéra.
Le chef Paolo Carignani (longuement applaudi), comme pour alléger ces pesantes pyramides, met beaucoup de gaîté dans son interprétation. Avec un grand sourire, il dirige en finesse et spontanéité cette longue œuvre, donnant du temps musical à chacune des parties solistes, évitant toute dimension monolithique pour au contraire privilégier le dessin.
L'engagement des chanteurs sur scène est indéniable, et donne le change dans une production aux allures cinématographiques, mais la qualité vocale n’est pas toujours là (ce dont ils semblent eux-mêmes se rendre compte, et prendre avec philosophie, via quelques sourires). Il faut dire que trois des rôles solistes (sur huit) effectuent ici un remplacement, avec deux débuts au Met.
Michelle Bradley propose en Aida une voix de soprano très chaude et ronde, aux résonances de mezzo, mais avec une prise de son par au-dessus. La définition du son n’est pourtant pas toujours optimale, et la puissance vocale qu’elle met dans ses interventions n’est pas suivie de tenues suffisantes. Ses aigus savent toutefois laisser de côté des amplitudes très muries (parfois un peu lestées) pour traduire une élégante fragilité accompagnée d’un fin vibrato.
Anita Rachvelishvili est remplacée par Olesya Petrova en Amneris, reine qui peine à trouver un véritable équilibre. La mezzo-soprano a des aigus souvent tirés et qui craquent un peu sur l'imprécision de l’intonation. Elle intensifie néanmoins ses interventions avec une voix presque au niveau des tempes. Elle construit en fait le personnage sur d’autres aspects plus chauds et doux, presque tendres. Brittany Olivia Logan en prêtresse, a un timbre rond mais manquant de tenue et de puissance.
Limmie Pulliam remplace au pied-levé Brian Jagde en Radamès, et fait ainsi ses débuts au Met. Le ténor a un timbre bien particulier, avec des résonances nasillardes et une voix de tête exacerbée, où perce souvent un peu trop de souffle. L'orchestre peine également à l'attendre, mais la puissance de ses interventions, surtout dans les dernières scènes, compose l’émotion romantique du personnage.
Le grand prêtre Ramfis est interprété par Christian van Horn. Le baryton-basse joue sur des sonorités caverneuses, avec un vibrato très fin et serré (trop pour son timbre). Ses dernières interventions, hors-scène puis présent, montrent cependant l'amplitude de ses résonances avec davantage de chaleur. En roi, Alexandros Stavrakakis reste très discret et ses interventions relativement sèches laissent passer un peu de souffle. Il tient cependant un vibrato large, mais perdant la note.
Amonasro, père d'Aïda, est interprété par Quinn Kelsey, dont le timbre nasalisé s’associe avec des résonances caverneuses. Il prend cependant trop de liberté avec la justesse et le tempo, mais n’hésite pas à jouer avec la partition pour des lancées chaudes vers les aigus. Dans sa brève intervention en messager, Anthony Ciaramitaro fait ses débuts au Met (remplaçant Matthew Cairns qui débute également à l'occasion de ce rôle). Sa voix placée se remarque immédiatement, avec des résonances de tête intéressantes.
Pas toujours en place en effectif complet, les voix féminines ou masculines séparées du chœur font ressortir leurs aigus et résonances. Les contraltos tout en rondeur s'appuient sur les amplitudes des basses. Les solistes instrumentaux (comme les fameuses trompettes) peinent à maintenir le tempo mais se rattrapent toujours. Les cordes de l’orchestre manquent un peu d’engagement, mais les bois sont par contre particulièrement lyriques.
Le public salue la fin du spectacle comme les solos que le chef laisse applaudir, avant de reprendre le fil de cette grande cérémonie opératique.