Virtuosité baroque avec Valer Sabadus et L’Arpeggiata à la Salle Gaveau
Le père fondateur qu’est Monteverdi est entouré de nombreux autres grands compositeurs de l’époque, dans une sélection musicale assez proche de celle du concert qui avait déjà vu le contre-ténor s’associer avec L’Arpeggiata lors du Festival d’Ambronnay en 2021.
La voix de Valer Sabadus est luisante, naviguant avec agilité dans les ornementations de ses da capo (reprises). Le tintement caractéristique de la technique des contreténors, lié à la résonnance de la voix de tête, est chez lui caressant, se prêtant aux airs plus tendres ou songeurs de Pietro Andrea Ziani par lequel il entame son récital. Si l’émission peut se réduire dans les graves, il dispose d’aigus charnus et saisissants, surgissant comme une pique taquine adressée au public parisien. Au demeurant, le soliste se montre pleinement investi tout au long du récital, bien au delà de la seule exécution technique des œuvres au programme. Ainsi, lors de l’acrobatique Ninfa Bella de Cavalli, il semble incarner le « Satirino » (petit satyre) de La Calisto, opéra dont l’air est extrait, avec un sourire de chat du Cheshire et une gestuelle fluide et vivace qui accompagne les vibrations du chant.
Il se montre très complice avec les musiciens de L’Arpeggiata, qui semble d’ailleurs en pleine connivence avec le public de ce soir à la Salle Gaveau. Les instruments d’époque (tels que psaltérion, clavecin, orgue positif ou viole de gambe) offrent un accompagnement au diapason du contre-ténor, sous la direction alerte et souple de Christina Pluhar au théorbe. Le cornet à bouquin, joué par Doron Sherwin occupe souvent une place centrale et forme un pendant instrumental à la voix du contreténor avec sa sonorité claironnante.
Les musiciens interprètent d’ailleurs plusieurs morceaux instrumentaux, notamment un Canario endiablé de Girolamo Kapsberger (musicien d’origine allemande installé à Rome). Dans ce morceau basé sur une danse traditionnelle des Canaries (d’où le nom), les musiciens de L’Arpeggiata laissent libre cours à l’improvisation qui est si importante dans le répertoire baroque, chaque musicien donnant de son solo tel un ensemble de jazz en plein « bœuf » endiablé. Durant le sien, le percussionniste David Mayoral est tellement pris par le rythme entêtant et frénétique qu’il ne s’aperçoit pas que l’un des tambourins qu’il a mis de côté est sur le point de s’effondrer, mais les réflexes de la joueuse de viole de gambe Lixsania Fernandez lui sauvent la mise in extremis, suscitant un mouvement général d’hilarité bon enfant qui semble confirmer la complicité des musiciens entre eux et leur bonne entente avec le public de ce soir.
Celui-ci réclame d’ailleurs deux rappels du contre-ténor. Le premier est le très virtuose Si dolce è il tormento de Monteverdi, le second est une reprise du premier air de la soirée, « Dormite, O pupille », au revoir tout en douceur au public ravi.