Poème de l'amour et de la jeunesse à la Philharmonie de Paris
Le programme fait honneur à l’école française d’orchestre, à commencer par Le Carnaval romain d’Hector Berlioz, probante mise à exécution de son Traité d'instrumentation et d'orchestration de référence, qui influença des générations de compositeurs. Maurice Ravel figure également comme maître en la matière, la Suite n°2 de Daphnis et Chloé pour un grand effectif orchestral rutilant d’une infinité de couleurs et de timbres dans des explosions sonores saisissantes. L’orchestre prend des teintes wagnériennes dans le Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson qui, en ajoutant la voix à l’effectif instrumental, contribue à innover et créer un genre nouveau entre la mélodie orchestrale et la cantate.
D'un matin de printemps de Lili Boulanger est comme une métaphore de l'ensemble. Suzanne Giraud, quant à elle, représente la nouvelle génération, et s’empare du matériau orchestral en l’agrémentant de nouvelles sonorités, de modes de jeux variés comme les flatterzunge (coups de langue) des cuivres ou encore le crépitement du bois des archets sur les cordes (col legno). Elle sollicite les instrumentistes différemment, les fait déclamer un texte en anglais affirmant leur joie d’être ensemble dans l’orchestre et les fait taper des pieds, des mains, se lever, autant de postures inhabituelles que les jeunes musiciens exécutent en souriant bien que ne montrant pas la même aisance corporelle qu’avec leurs instruments. Sa pièce, Liesse, est une commande de l’Orchestre Français des Jeunes pour célébrer les 40 ans de ce dispositif créé par le Ministère de la Culture afin de former au métier de musiciens d’orchestre (à la fin du concert le chef d’orchestre précise que ce dispositif est précieux, qu’il permet de réunir des talents et que 60% des jeunes ayant participé à cet orchestre sont embauchés ensuite dans des formations).
La réunion de tous ces jeunes talents dirigés par Michael Schønwandt délivre avec enthousiasme la richesse des pages orchestrales, les crescendos ravéliens apparaissant comme autant de déchaînements et de feux d’artifice sonores. Tous sont des artistes engagés et avec leur expertise, comme le démontrent les différents soli et le chef semble prendre beaucoup de plaisir à insuffler les respirations, les phrasés, la douceur aussi bien que la vaillance. Si le début du Carnaval romain, après une introduction pétulante de clarté, saisit par sa délicatesse, la mer dans la pièce de Chausson semble immédiatement agitée d’une passion intense, et le flux plus mouvementé qu’ondoyant laisse dans un premier temps, peu de place à la chanteuse.
Remplaçant au dernier moment la mezzo-soprano Adèle Charvet souffrante, la soprano Marie-Laure Garnier semble dans un premier temps quelque peu en retrait dans son registre médium. Cependant, rapidement, elle parvient à imposer une présence vocale engagée et sensible. Son phrasé épouse les vagues orchestrales, s’enracinant délicatement avant d’évoluer vers des sommets d’intensité que sa voix lyrique adresse au public. Ce dernier ne perd aucune des intentions de la chanteuse sur les mots des poèmes de Maurice Bouchor et l’air se teinte différemment selon qu’il est tendre ou sauvage. L’inexprimable horreur apparait alors dans un climax d’intensité et de projection vocale, alors que, contenant son vibrato, elle module son chant pour un oubli spectral.
La jeunesse également présente dans la salle soutient la clameur générale à la fin du concert. Les artistes offrent la Joyeuse Marche de Chabrier en bis, achevant ainsi la fête d’anniversaire dans la joie et la bonne humeur.
Ce concert est à écouter sur cette page via France Musique le 9 janvier 2023 à 20h :