Auditions de Génération Opéra : dix jeunes à suivre
Ces dix prétendants doivent tenir leurs nerfs en cette soirée d’audition : c’est en effet devant un public composé d’agents, de journalistes et de directeurs d’opéra, de festivals ou d’ensembles qu’ils sont invités à chanter deux airs d’opéra (dont un en français) et une mélodie d’une compositrice. Ce mélange des genres met peu d’artistes en valeur car si la plupart sont à l’aise dans le répertoire opératique, peu maîtrisent les codes de la mélodie. Ces jeunes chanteurs ont souvent de gros défauts, mais largement compensés par de grandes qualités, notamment techniques, promesses de belles carrières pour ceux qui sauront poursuivre leur travail stylistique, musical et théâtral.
Kaëlig Boché, ténor de 32 ans (apprécié avec l'Académie Orsay-Royaumont) ressort de ce groupe homogène par sa maîtrise du style mélodique, mais aussi par la justesse de son expressivité (son jeu scénique démarre avant même sa première note). Il s’amuse et puise de la finesse d’interprétation dans son jeu théâtral. Son timbre frais s’enrichit dans l’aigu, sa voix plutôt lyrique laissant de très légers défauts de justesses se corriger au fil de la prestation, alors que son stress s’estompe. Il montre alors un souffle long.
Juliette Gauthier, mezzo-soprano de 22 ans, se tient bien droite sur la croix indiquée au sol. Sa jeunesse se retrouve dans sa voix bien projetée, au timbre riche et aux graves pleins. Son chant est nuancé et son vibrato fin et rapide. Son anglais est difficilement compréhensible, mais son chant est pleinement incarné.
Clara Guillon, soprano (la seule de cette sélection, une fois n’est pas coutume) de 30 ans, expose une voix molletonnée au vibrato rond et fin et aux aigus éclatants, les médiums se montrant plus ambrés. Son vibrato un peu trop appuyé menace certes parfois sa ligne de chant. Mais sûre d’elle, elle ne se laisse pas décontenancer par les problèmes techniques qui lui renvoient un écho de son chant alors qu’elle exécute avec insouciance et un regard de défi les exigeantes vocalises de l’air de Dinorah dans Le Pardon de Ploërmel.
Le ténor de 30 ans Kiup Lee, ancien de l’Académie de l’Opéra de Paris, jouit déjà d’une certaine notoriété et même d’une base de fidèles spectateurs séduits par son timbre doré à l’émission facile et avec beaucoup de consistance. S’il peint un Rinuccio investi, son Georges manque de la fougue rêveuse du personnage (et sa mélodie montre son manque de goût pour le genre).
Floriane Hasler, mezzo-soprano de 28 ans (1er prix au Concours de chant baroque de Froville), dispose incontestablement de moyens imposants. Elle s’élance dans de grands élans lyriques de son timbre ardent, s’appuyant sur son vibrato fougueux. Son interprétation reste cependant trop monolithique, dans une nuance continuellement forte. Ses vocalises en Isabella, fluides et précises, l’obligent seules à nuancer sa voix qui délivre alors toutes ses qualités.
Matthieu Walendzick, baryton franco-polonais de 26 ans (du Jardin des Voix, 10ème édition), s’appuie sur sa connaissance du style slave, débutant par une mélodie polonaise de Maria Szymanowska, avant d’enchainer par un extrait d’Eugène Onéguine (puis d’Hamlet). Son timbre est aussi brillant que ses chaussures vernies, tandis que son interprétation est tirée à quatre épingles (seuls les aigus restant un peu tubés). Si ses récitatifs pourraient être plus construits, les airs offrent de beaux élans, appuyés sur un legato bien filé, mais toujours avec une certaine retenue dans l’expressivité. Il semble parfois lire la partition dans sa tête tant il reste statique, les yeux fixes. Clin d’œil amusant, c’est quand son personnage s’exclame que « les plus sages sont les fous » que son regard s’anime et qu’il trouve ce grain de théâtre qui habille dès lors son chant.
Damien Gastl (de Strasbourg et de son Opéra Studio) est un baryton de 33 ans à la haute stature. Vocalement, il dispose d’un timbre brillant au grave riche et d’un vibrato fin et vif. Son phrasé est travaillé même si ses fins de phrases sont un peu courtes, et sa diction française précise. L’interprétation est en revanche très statique, n’exprimant des émotions qu’en Guglielmo, l’air de Valentin étant chanté d’un ton très détaché.
Igor Mostovoi (ancien du Studio de l'Opéra du Rhin également), baryton-basse de 29 ans qui vivait encore à Mariupol en Ukraine il y a quelques mois, élève sa voix au timbre profond et mat, aux graves d’ébène. Le chanteur au français impeccable et au phrasé finement sculpté, reste en retrait dans l’interprétation (son Méphisto ne paraît ainsi nullement maléfique), peinant à transmettre l’émotion au public.
Léopold Gilloots-Laforge, contre-ténor de 29 ans dispose d’un instrument magnifique au large ambitus qu’il doit encore apprivoiser. Son timbre est épais et velouté, sa voix agile depuis ses aigus éclatants et lumineux (comme il le démontre dans Mitridate) jusque de beaux graves moirés, mais le phrasé est heurté malgré sa grande sensibilité musicale, les accents pas toujours placés de manière appropriée et le français peu compréhensible. Surtout, son interprétation théâtrale reste maladroite et manque de diversité.
Il en va de même pour Axelle Saint-Cirel, mezzo-soprano guadeloupéenne de 27 ans (lauréate du Concours Voix des Outre-mer), dont la voix au timbre chaud est portée par de larges résonateurs. Elle peut encore améliorer la précision de sa diction, ainsi que la maîtrise de ses aigus. Il lui manque encore surtout la capacité à embarquer le spectateur par son expression scénique : elle dessine ainsi un Lazuli très sage au lieu de l’effronté qui séduit par son impertinence et elle répète les mêmes phrases musicales sans varier les intentions en Dorabella.
Ces jeunes artistes sont accompagnés au piano par Delphine Dussaux qui relève, à quelques écarts près, plusieurs défis, dont la durée du récital et le constant passage d’un style musical à l’autre, tandis qu'un grand nombre de morceaux interprétés sont des raretés. Son piano se fait tour à tour chantant, mélancolique, sévère ou séducteur.
Une fois sortis de scène, ces jeunes artistes n’en ont pas fini car vient le moment de rencontrer le public si particulier de cette audition et de nouer des liens avec un futur agent ou un possible employeur. Qu’ils intègrent ou non la promotion Génération Opéra, tous ont gagné ce soir en visibilité auprès de ceux qui auront désormais la charge de les aider à se développer en tant qu’artistes.