Splendeurs Salzbourgeoises à Rennes
Le programme conçu par Damien Guillon et Adrien Mabire est construit autour d’œuvres de compositeurs baroques ayant exercé leur art à Salzbourg, haut lieu de la Contre-Réforme. À la fin du XVIIème siècle, le Prince-Archevêque de la ville autrichienne organisait dans la cathédrale de fastueuses cérémonies religieuses ayant pour objectif la conversion des protestants. Les quatre balcons élevés autour du chœur de l’édifice religieux permettaient de disposer chanteurs et instrumentistes à différents endroits afin de produire des effets d’échos, de nuances, de couleurs éblouissantes dans le but d’impressionner et de séduire l’auditoire. L’un des principaux représentants de la musique baroque salzbourgeoise est Georg Muffat. Surtout connu pour sa musique instrumentale, il a écrit peu de musique religieuse. Dans la Missa in labore requies (1690), axe central du programme, Georg Muffat réunit les goûts de l’époque qu’il a acquis au cours de ses nombreux séjours dans les hauts lieux culturels européens. Peut-être écrite à l’occasion d’une fête de Pentecôte, sa messe à 24 voix, constituée de cinq ensembles (deux vocaux, trois instrumentaux : tous considérés comme des "chœurs") met en relief ces fameuses architectures polychorales alors prisées en Italie, notamment à Rome avec Orazio Benevolo. Muffat exploite la structure architecturale de la Cathédrale de Salzbourg pour répartir les sources sonores dans les différents lieux de l'édifice sacré. L’écriture tient compte de la réverbération de la cathédrale : les sections courtes s’enchaînent, sans développement, avec la mise en valeur d’un mot en particulier que les chanteurs se répartissent (comme les envolées virevoltantes des Pax du Gloria) produisant des effets d’écho, de couleurs, de théâtralisation pour capturer un instant, une sensation, une émotion.
Il n’est pas aisé de reproduire sur une scène d’opéra une telle répartition des sources sonores. Afin d’être dans une disposition acoustique favorable, la quarantaine d’interprètes du Banquet Céleste et de la Guilde des Mercenaires sont répartis sur toute la scène : les chanteurs sont divisés en deux chœurs de 8 (4 solistes soutenus par 4 ripienistes pour renforcer les tutti) disposés l’un côté jardin, l’autre côté cour, les cordes et le continuo au centre, les trois trombones et les deux cornettistes alignés derrière les cordes, enfin les cinq trompettes à l’arrière.
Un tissage de sons choraux et instrumentaux s’établit, riche en couleurs et permettant une multitude de possibilités. Les huit chanteurs solistes interviennent en solo, duo, petit chœur, double chœur ou en tutti avec les huit autres chanteurs, chacun apportant sa couleur vocale tout en préservant une homogénéité d’émission et de style. La déclamation est nette, le texte est compréhensible dans cette salle où l’acoustique est peu réverbérante, contrairement à celle d’une église.
Les chanteurs sont choisis et associés en fonction de leur timbre de voix pour une complémentarité vocale entre les deux chœurs et les différents pupitres. Ainsi, la voix claire et lumineuse de Violaine Le Chenadec trouve-t-elle sa complémentarité avec celle de Myriam Arbouz, plus sombre et vibrante. Celle du contre-ténor Paul Figuier, claire et limpide s’associe avec celle de la contralto Mélodie Ruvio, plus chaudement timbrée dans les graves. La voix suave et pénétrante du haute-contre David Tricou fusionne avec celle du ténor Nicholas Scott, claire et aérée. Enfin la voix modulante dans le registre medium du baryton-basse Benoît Arnould s‘allie avec le timbre riche aux graves profonds d'Emmanuel Vistorky (remplaçant Renaud Bres souffrant).
Les cuivres chamarrés apportent une cohérence au langage sonore sans jamais étouffer les voix. Ils se connectent au chant, intensifient les contrastes dans les dialogues, s’imposent dans les tutti déployant leurs couleurs sombres et cuivrées. Ils teintent le texte pour des effets poignants comme l’emploi des trompettes avec sourdines et timbales étouffées pour figurer la crucifixion, à l’inverse des trompettes ouvertes et pleines annonçant la résurrection. Ils explosent lors des tutti dans toute leur puissance comme dans le chœur d’ouverture ou dans les « amen » à la gloire de la grandeur divine.
Des pièces vocales et instrumentales d’autres compositeurs salzbourgeois sont jouées à l’intérieur même de la messe, comme cela se pratiquait à l’époque baroque. La Sonata duodecima à sept de Johann Heinrich Schmelzer fait entendre une performance remarquée des deux cornettistes tout comme la prestation de l’organiste dans une canzon de Johann Stadlmayr. La sonata à treize du même compositeur écrite pour les cordes et cuivres impressionne par la justesse et la précision dans la virtuosité des traits.
Damien Guillon, comme à son habitude, dirige l’ensemble des musiciens avec cohérence et d’une grande précision. Tout s’enchaîne avec fluidité, une connivence s’établissant entre ses propres musiciens du Banquet Céleste et ceux de la Guilde des Mercenaires, préparés par leur chef, Adrien Mabire.
Après la reprise du chœur final, le public rennais séduit, constitué en partie de fidèles adeptes du Banquet Céleste (ensemble en résidence à l’Opéra de Rennes) ovationne l’ensemble des interprètes.