Karine Deshayes, reine de la fête et de L’Instant Lyrique à l’Opéra Comique
L’heure est à la fête et ce soir, la scène est lieu de détente et de réjouissances musicales dans une ambiance bon enfant. S’y enchaînent ainsi les différentes pièces, allant du bel canto, dont Karine Deshayes se fait l’une des maîtresses, à Poulenc ou encore Kurt Weill et son Youkali qui clôt le programme – sous les applaudissements explosifs d’un public comblé qui s’achèveront en une standing ovation.
Un vaste programme aux multiples accompagnateurs, dont les pianistes Antoine Palloc, qui fait montre d’un jeu engagé et vigoureux, Bruno Fontaine, qui prend sa suite avec attention, simplicité et sensibilité, ou encore Mathieu Pordoy qui allie souplesse, précision et finesse des notes. Le spectateur apprécie également les parties simplement instrumentales du concert, avec la Méditation de Thaïs de Massenet, menée par les vifs éclats du violon de Geneviève Laurenceau, ou encore Sweet Lorraine de Burwell, où se distingue Pierre Génisson à la clarinette, dont il démontre sa maîtrise par sa dextérité, par la fluidité de l’interprétation et par sa présence délicatement colorée. Christian-Pierre La Marca au violoncelle dans L’Absent de Gounod rendra aussi une belle entente avec Arnaud Thorette à l’alto et Johan Farjot au piano, tous trois accompagnant la cantatrice avec justesse et fluidité.
Karine Deshayes entame le concert « Parmi les pleurs… » des Huguenots de Meyerbeer. La voix est chaude et accueillante, se déployant moelleusement dans tous les recoins de la grande salle de l’Opéra Comique et s’y installant sans le moindre effort, confortablement. Le timbre est riche en nuances solaires, expansives, et la voix vibre avec force souplesse et maestria dans toutes les envolées du bel canto (La Cenerentola, Semiramide entre autres). Mais l'auditoire note également une certaine douceur dans la façon dont la mezzo-soprano se fond dans chaque morceau et chaque personnage. Le seul véritable bémol est celui de la diction de l’italien, manquant de clarté.
S’enchaînent également duos et trios, dont le premier, de la Semiramide de Rossini avec la complice de récital Delphine Haidan : ensemble, les deux mezzos s’engagent dans une confrontation de puissance où chacune semble servir à l’autre d’appui pour la voix. Delphine Haidan propose par ailleurs un chant soigneux et appliqué, pour un timbre façonné de clairs-obscurs qui colorent joliment Morgen de Richard Strauss.
Karine Deshayes partage également la scène avec Cyrille Dubois, dans le duo "Un soave non so che" de La Cenerentola – et le voici faisant une entrée hésitante, regardant à droite, à gauche, l’air perdu ou perplexe, avant de lancer finalement « Tutto e deserto… », sous les rires du public. Il déploie un ténor aux teintes claires qui ornent un chant aisé, à la diction impeccable, aussi bien en italien qu’en français, avec "À la voix d’un amant fidèle" de La jolie fille de Perth de Bizet, empreint d’une jolie tendresse et de délicatesse. De son duo avec Karine Deshayes émane le même genre d’amitié, magnifiée par la musique.
Mozart est également de mise, avec notamment le duo "La ci darem la mano" de Don Giovanni par Karine Deshayes et Paul Gay – lequel entraine sa partenaire pour la soulever dans les airs à la fin ! L’air ne figurant pas sur le programme, l’interprétation est plus improvisée, mais vivante et naturelle. Le chanteur démontre un baryton austère et imposant, impressionnant d’emblée dès ses premières notes du soir dans Simon Boccanegra de Verdi. Enfin, son trio de Così fan tutte avec Karine Deshayes et Natalie Dessay se caractérise par une solidité dans le travail de précision des trois interprètes.
Natalie Dessay elle aussi vient célébrer les vingt-cinq ans de carrière de son amie, avec une petite surprise de sa part : une reprise de "La Reine de Cœur" de La Courte paille de Poulenc, dont quelques modifications de son cru parcourent le texte – ainsi Karine Deshayes est-elle appelée la « reine des bulles » pour son amour pour le champagne, sourit Nathalie Dessay avant d’entonner cet air de Poulenc. Le timbre est profond et doté d’éclats lumineux et riches, mais le fond de la voix est un peu sec. Toutes deux se retrouvent dans le Duo des fleurs de Lakmé, Natalie Dessay remplaçant ici Philippe Jaroussky souffrant. Les deux timbres se mêlent avec adresse et, là aussi, légèreté, voire une certaine évanescence sur les dernières notes.
Un invité surprise rejoint le petit groupe pour le bis : Michael Spyres, à Paris pour interpréter Don José à Bastille. Il retrouve ici Karine Deshayes pour le duo de Norma de Bellini, suave et dynamique, aisé lui aussi, notamment par la présence calme et posée du bariténor – lequel semble ravi d’être là et ne manquant pas de rire avec ses collègues alors que sur scène, tous se rejoignent pour interpréter en chœur le Brindisi de La Traviata de Verdi. Même les pianistes Mathieu Pordoy, Antoine Palloc et Bruno Fontaine sont invités à chanter – quoique les deux derniers soient moins à l’aise !
Karine Deshayes donne le départ et, dans un emportement joyeux, quoique légèrement brouillon, les notes de Verdi résonnent avec enthousiasme, concluant avec brio cette soirée de célébration.