La Bohème tendre et nostalgique au Capitole de Toulouse
Le spectacle -dont André Barbe et Renaud Doucet signent mise en scène, décors et costumes- commence par un double voyage croisé dans le temps : Musetta réincarnée en une sorte de Mistinguett projetée dans un marché aux puces parisien de nos jours gouale des chansons des années 1920 ("Ça c’est Paris") accompagnée par l’accordéon grâcieux et nuancé de Michel Glasko. Mimi aussi est présente, errant ça et là, déjà malade comme son extrême pâleur et son crâne rasé le laissent supposer. Elle s’arrête chez un vieux disquaire qui pose alors La Bohème sur un gramophone, concluant ainsi ce prologue ajouté au spectacle, plongeant dans un flash-back et dans la partition de Puccini.
La rue et ses objets d’antiquaires devient le cadre où vivent les protagonistes et où se déroulent les différents tableaux (les scènes burlesques et populaires font défiler parmi les boutiques le petit peuple de Paris et les protagonistes, avec virtuosité, de manière visible et identifiable). Les lumières de Guy Simard, épousent très efficacement le déroulé des événements, à pleins feux dans les moments burlesques, quasi nocturnes dans les scènes intimistes, avec des poursuites sur les visages des protagonistes (pas toujours au rendez-vous).
Les chœurs, préparés par Gabriel Bourgoin, sont très engagés dans cette mise en scène parfois foisonnante de mouvements, où ils assument leurs parties efficacement, tant les enfants que les adultes. De même, les solistes sont très impliqués, dans des actions quasi chorégraphiées pour les moments burlesques, et très naturels dans les passages intimistes.
L’Orchestre national du Capitole est dirigé avec énergie et un certain brio par Lorenzo Passerini, qui ne ménage pas sa peine, insufflant fantaisie et punch dans les mouvements festifs, sachant mener les moments émouvants au comble de l’émotion : dans les immenses nappes sonores et les bouffées lyriques de cordes.
Les plus petits rôles sont assumés par des artistes du chœur avec entrain et investissement. Les douaniers Bruno Vincent et Thierry Vincent sont appliqués et cadencés, Claude Minich maintient le dynamisme fugace de sa scène en vendeur de prunes, Alfredo Poesina détache les articulations de ses mots comme les jouets de Parpignol.
Le baryton Matteo Peirone incarne le rôle du propriétaire M. Benoit d’une voix assurée et un peu bravache à l’image de son jeu engagé, et, d’une voix plus ternie, Alcindoro en vieux barbon.
Edwin Fardini met sa voix de baryton chaude et claire au service de Schaunard, qu’il incarne théâtralement avec conviction, la prestance étant renforcée par son visage très expressif. Les couleurs de son chant se trouvent toutefois un peu couvertes dans la frénésie échevelée du premier tableau.
Julien Véronèse campe Colline avec la belle stature qui lui confère l’autorité du personnage dans le quatuor des amis. Sa voix de basse chaleureuse, claire et clairement prononcée se déploie avec une émotion nuancée et colorée dans l’air de la pelisse au dernier tableau.
Le baryton Mikhail Timoshenko donne une grande épaisseur au rôle de Marcello, par son constant engagement scénique et vocal. La voix est très sonore, particulièrement chaude, avec un phrasé, une diction et un legato conférant à son personnage une dimension humaine bienvenue. Les couleurs sont au rendez-vous des diverses situations, avec un surcroit d’émotion et de lyrisme pour le duo avec Mimi. Il est aussi touchant dans l’incarnation de son amour pour Musetta, avec sa jalousie un peu gauche complétant sa forte présence scénique.
Marie Perbost incarne avec d’autant plus de brio la jeune et coquette Musetta qu'elle est ici une Mistinguett. La soprano a ainsi une occasion rare d'allier ici les différents registres esthétiques et vocaux qu'elle déploie dans sa carrière, avec des couleurs sonores fruitées. La voix est longue et aisée, pleinement projetée, son grand air déployant à la fois brillance et riches nuances tout en creusant l'incarnation de coquette amoureuse sincère, avec une grande conviction.
Le ténor Liparit Avetisyan incarne Rodolfo avec des maladresses scéniques rattrapées par un engagement touchant et justifiées par la candeur du personnage amoureux. La voix est très sonore, riche en couleurs dans le médium mais un peu en retrait dans le grave et tendant vers des stridences dans l'aigu, toujours forte, avec un vibrato serré et une couleur claire qui nuit un peu aux moments les plus intimistes (mais qui soutient pleinement le finale déchirant).
La soprano Vannina Santoni chante Mimi avec un naturel désarmant. Sa présence scénique diaphane mais intense traduit l'état et l'importance du personnage. Sa voix lyrique est étendue, toujours aisée et audible (y compris en tutti mais tout en sachant s'allier pleinement en duos). Le timbre est charnu, avec une palette dynamique allant sans efforts du pianissimo au fortissimo, modelant son phrasé avec art et la subtilité d'une prononciation impeccable. Ses dernières paroles sont énoncées de sorte à réunir la partition, le destin de ce personnage et le principe de la mise en scène : d'une voix exsangue, désincarnée, jusqu'à disparaître. Son corps même disparaît comme par enchantement de son divan d'alitement, comme pour rappeler qu'il s'agit ici d'un songe nostalgique.
Le public qui aura ainsi été invité à (re)vivre l'univers de Bohème salue le spectacle avec un très grand enthousiasme.
Retrouvez notre compte-rendu de l'autre distribution vocale de ce spectacle