Peer Gynt à la conquête du monde au Théâtre Impérial de Compiègne
Cet objet musical créatif, comme le nomment les metteurs en scène, s’inscrit dans le cadre de la riche programmation de la 5ème édition du Festival En Voix (art lyrique et chant choral) qui rayonne dans les Hauts-de-France.
Ce spectacle permet notamment d’apprécier ces musiques très connues du grand public souvent sans savoir qu'elles sont extraites de cette œuvre. La partition emplie de merveilles accompagne ce conte dans les aventures souvent désenchantées voire fantasmagoriques du jeune "vaurien" fanfaron Peer Gynt le menant depuis sa Norvège natale jusqu’aux déserts d'Égypte. Le poème dramatique d’Henrik Ibsen en cinq actes est ici adapté par Alain Perroux (actuel Directeur de l'Opéra National du Rhin) qui a su conserver la quintessence de cette œuvre à la fois emplie de folie et de magie, en préservant de façon particulièrement lisible la quête de soi qui pousse Peer Gynt sur les chemins d’aventure (quitte à mentir et à délaisser les personnes qui l’aiment comme sa mère ou la pure Solveig). Cette proposition mêle donc, dans un cadre constamment poétique, des scènes purement théâtrales voire mélodramatiques et les morceaux symphoniques. Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil/Le Lab sont parvenus à relier le tout en associant sans aucune barrière acteurs, chanteurs, musiciens de l’orchestre et artistes du chœur, au sein d’un décor de bois et de passerelles très élaboré (déjà décrit sur nos colonnes au sujet des représentations antérieures données à Limoges et Montpellier). De pertinentes et belles projections vidéos (de Jean-Baptiste Beis) viennent affiner encore ce spectacle qui demande par ailleurs aux interprètes principaux de manipuler, sous l’œil d’une caméra, objets et accessoires qui tous affirment une valeur symbolique dans le déroulé de l’action et des scènes. Plus encore que des images, ce spectacle véhicule l’âme d’un homme qui devenu vieux rejoindra sa patrie pour mourir dans les bras de Solveig (qui a passé sa vie à l’attendre). Les moments forts ne manquent pas et bouleversent perceptiblement le public, comme la mort de la mère de Peer ou les retrouvailles finales.
Déjà présents lors des représentations antérieures, les comédiens Thomas Gornet, qui incarne Peer Gynt avec sensibilité et ironie, Marie Blondel et Amélie Esbelin fusionnent avec leurs personnages. Les chanteurs, qui officient en langue norvégienne, sont eux-mêmes pionniers de l’aventure. Le toujours juste et investi baryton Philippe Estèphe incarne Peer, de sa voix mélodieuse et timbrée. Il interprète par ailleurs avec une aisance scénique remarquée le roi fantasque des Trolls. La soprano Norma Nahoun offre sa voix délicate et toute de lumière à Solveig. Son interprétation de la fameuse Chanson est toute empreinte de poésie et d’espoir. Marie Kalinine, avec sa voix de mezzo bien posée aux riches harmoniques, interprète le rôle d’Anitra. Le trio des jeunes filles des pâturages rivalise d’aisance mélodieuse et rythmique avec les voix lyriques des mezzo-sopranos Johanna Giraud et Agnès Cabrol de Butler et de la soprano Cecilia Mazzufero, portées par la musicalité de leurs timbres.
Deux autres collègues issus du chœur, Edouard Portal et Fabien Leriche donnent avec précision caractère et voix aux personnages du voleur et du receleur, le premier d'une basse robuste et le second plus chantant de caractère.
Directeur musical de la Philharmonie de Baden-Baden, le chef bulgare Pavel Baleff, nommé Directeur musical de l’Orchestre de l’Opéra de Limoges pour trois saisons à compter de celle de 2022/2023, dirige cette dernière phalange à Compiègne avec toute l’expérience acquise, dans un souci permanent des couleurs et des atmosphères. Le Chœur de l’Opéra de Limoges donne le meilleur de lui-même et montre sa pleine connaissance de cette partition aux suaves accents.
Le Théâtre Impérial de Compiègne affiche ce soir complet avec la présence notamment d’un jeune public fort attentif. Les vivas et les longs applaudissements remportés par tous les artistes de ce Peer Gynt traduisent également le plaisir ressenti par les spectateurs, et continuent de saluer mais aussi d'encourager ce Peer Gynt dans la suite de ses aventures.