Munch musical exalté au Musée d'Orsay avec Marianne Beate Kielland
L'exposition « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort » met en valeur jusqu'au 22 janvier 2023 la richesse de la production artistique du peintre norvégien proche de l’expressionnisme, que l’imaginaire collectif a trop souvent réduit à son seul Cri. Et nulle question de cri dans ce concert lyrique.
Le programme de la soirée joue en partie sur la proximité temporelle et chronologique des compositeurs choisis, puisqu’il s’ouvre par un cycle de mélodies d'Edvard Grieg, Sex Digte (soit « six poèmes ») mise en musique de poésies d’un autre contemporain et compatriote de Munch, et non des moindres, le dramaturge Henrik Ibsen, pour lequel Munch a d’ailleurs créé des illustrations de programme à l’occasion de représentations parisiennes de sa pièce Peer Gynt.
Si la suite de la soirée est plus germanique que scandinave, avec des Lieder de Richard Strauss elle reste en plein accord avec la sensibilité de Munch. Richard Strauss fut d’ailleurs impressionné par l’œuvre de Munch durant un récital en 1917 à l’Université d’Oslo, où se trouvent des fresques monumentales de l’artiste, qui réalisa son portrait. Parmi les pièces contemplées par Strauss figuraient des tableaux actuellement exposés à Orsay tels que Puberté, Vampire ou Madone —autant d’avatars d’un idéal féminin protéiforme, inspirations pour le programme de ce soir.
Les trois ensembles de Lieder ou digte choisis représentent le sentiment amoureux dans sa complexité, mettant en exergue le lien étroit qui existe entre amour et perte, entre la vie et le deuil, rejoignant ainsi la conception cyclique de l’existence qui occupe une place centrale dans l’œuvre de Munch, en particulier dans sa série picturale « La Frise de la vie » qui donne son titre à la soirée (et résonne avec Frauenliebe und -leben / L’Amour et la vie d’une femme, cycle de Robert Schumann qui se place sous la perspective d’une femme aimante à différents stades de sa vie, des premiers émois de la découverte de l’être aimé jusqu’au mariage et à la maternité, avant d’aboutir à l’amertume du deuil).
La mezzo-soprano norvégienne Marianne Beate Kielland incarne ces émotions multiples avec son timbre chaleureux, qui dispose d’aigus éclatants, passant de Grieg à Schumann, de la passion amère à un amour plus apaisé. Sa diction est précise, aussi bien dans sa langue maternelle en début de concert qu’en allemand par la suite, se prêtant en comédienne au récit et à l’humour malicieux de Strauss. Elle s’adapte pleinement à la forme du récital et à la salle, qui implique une émission plus mesurée qu’en opéra, plus en proximité avec le public. L’accompagnement de Nils Anders Mortensen est tout en délicatesse, les notes semblant couler d’elles-mêmes, en particulier pour Grieg, mais sachant également se montrer plus percussif quand le morceau le réclame, chez Strauss.
Le concert se clôt par le Liebestod d’Isolde, chant d’amour et de mort qui s’impose comme l’apothéose logique de la thématique développée le long de la soirée. Bien entendu, un Liebestod résonne différemment en récital que lorsqu’il parachève une représentation de l’œuvre wagnérienne dont il est issu, accompagné par tout un orchestre vibrant. Ici, l’émotion est plus intime, ce qui n’enlève pas son impact sur le public, perceptiblement touché bien après que la dernière note ait résonné. L’auditoire livre des applaudissements chaleureux aux artistes.