Poétique Périchole de Marina Viotti, Pelly & Minkowski au TCE
Les retrouvailles étaient très attendues pour le duo Marc Minkowski/Laurent Pelly qui a marqué un renouveau des productions d’Offenbach avec La Belle Hélène, Orphée aux Enfers, ou encore La Grande-Duchesse de Gérolstein. Si le résultat est toujours aussi efficace, il est pourtant moins ébouriffant, naviguant entre propos politique, émotion et force comique.
La scénographie de Chantal Thomas installe l’acte I dans une rue dominée par un panneau où s’affiche le bas du visage d’un dictateur. L’image du Vice-Roi impose sa présence à toute la ville, que ce soit sur le panneau ou bien incognito pour observer les habitants payés pour lui plaire. C’est cette même image du Vice-Roi qui se retrouve au mur du fond de la prison, devenue ici une immense cage, avant de revenir à la scène finale, taguée et attaquée par la foule, laissant entrevoir une faille ouverte dans l'autorité politique par la rébellion de Piquillo et de La Périchole. Le pardon final pourrait alors être un aveu de faiblesse de ce Vice-Roi isolé sur son balcon. Laurent Pelly et ses complices jettent ainsi un regard plutôt sérieux sur cette intrigue, où passe l’ombre de la prostitution et des abus politiques, sans pour autant prendre de parti radical.
Finalement, le deuxième acte, plus loufoque, est à la fois le plus drôle et le plus menaçant : de grands miroirs jettent une lueur glacée sur de larges canapés dans un monde tout en noir. Univers sombre où Piquillo verra son propre cauchemar (La Périchole dans les bras du Vice-Roi), démultiplié par les miroirs alors que tout semble perdu pour lui. Mais c’est aussi dans ce palais dystopique que déambulent les femmes de la cour, hilarants sosies platines d’épouses d’autocrates, dans des robes chics et vulgaires, incapables d’agir quand leur souverain leur crie « Sautez dessus » (sur Piquillo).
La mise en scène vise pourtant l’émotion en explorant la relation entre Piquillo et La Périchole grâce à une direction d’acteurs efficace. Néanmoins, suivant le parti pris d’en faire des chanteurs de rue d’aujourd’hui (tirant vers le punk), les dialogues revus par Agathe Mélinand (habituée du fait avec Pelly) hésitent entre langage “populaire” d’aujourd’hui et véritable gouaille du XIXe siècle. Un contraste qui fait perdre de leur mordant à certaines répliques. Le spectacle en définitive fait plus sourire que franchement rire le public, l’ombre de la violence du pouvoir passant et le tout finissant par emporter grâce à son rythme et à ses trouvailles scéniques.
Marina Viotti est La Périchole de ce soir (en alternance avec Antoinette Dennefeld). Elle impose son timbre doux et lumineux, la mezzo n’hésitant pas à utiliser le registre de poitrine, dans ce rôle exigeant pour la tessiture, ce qui donne une consistance très appréciable à des phrases telles que : « comme vous ferez je ferai, si vous me battez je vous le rendrai ». L’artiste compose un personnage sensible et débrouillard, mais aussi par qui passe l’émotion, capable de créer une intimité touchante dans l’air de la lettre ou dans la griserie grâce à ses nuances mezzo-piano.
Face à elle, Stanislas de Barbeyrac est Piquillo. La voix du ténor est solide, bien projetée, les aigus sont physiquement très engagés, avec un timbre très noir. L’interprète est généreux et se donne entièrement à la mise en scène, chutant et bondissant, mais demeurant plus à l’aise dans les grandes phrases lyriques de l’acte II que dans la gouaille populaire des dialogues qui ne sonnent pas toujours très naturels.
Après Laurent Naouri, le Vice-Roi Don Andrès de Ribeira est ce soir Alexandre Duhamel qui en possède l’autorité impérieuse parfois contredite comiquement par des gestes d’enfant ou de coquetterie. Si le timbre sombre et séduisant se concentre dans le grave et dans certaines voyelles fermées, la voix parlée ou chantée a tendance à blanchir malgré une généreuse projection, accentuant la violence du personnage mais manquant parfois sa noblesse. Le chanteur n’en dessine pas moins un personnage très crédible, et même surprenant avec un « joli geôlier » assez savoureux.
Les trois cousines sont interprétées avec une énergie communicatrice par Chloé Briot, Éléonore Pancrazi et Alix Le Saux qui deviennent ensuite de (très) savoureuses dames de la cour. Chloé Briot possède une voix claire et conduite avec élégance, Alix Le Saux un instrument solide un peu plus voilé, quand Éléonore Pancrazi fait entendre ses beaux graves poitrinés. À ce trio s’ajoute la voix souple de Natalie Pérez en Frasquinella.
Rodolphe Briand et Lionel Lhote n’ont que peu à chanter en Panatellas et en Don Pedro mais ils forment un duo complémentaire : le premier fait valoir une diction limpide quand le second fait entendre un timbre rond et bien projeté. Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade sont, quant à eux, de parfaits notaires imbibés.
À la baguette de ses Musiciens du Louvre, Marc Minkowski impose dès les premières notes sa lecture d’Offenbach, énergique, presque brusque, mais capable pourtant de laisser s’exprimer les instruments solistes et les chanteurs quand cela est nécessaire. Les interludes orchestraux relancent l’intrigue avec fougue et bonheur. Le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux est au diapason, faisant entendre une énergie revigorante et des pupitres homogènes dans les grands finales dont Offenbach a le secret.
Le spectacle est très chaleureusement applaudi par le public qui en voudrait encore.