Flamboyante Damnation de Faust à l’Opéra de Monte-Carlo
Cette Damnation de Faust s’inscrit au sein de la grande Salle des Princes du Forum Grimaldi, dans le cadre des commémorations du Centenaire d’Albert 1er de Monaco, de la Fête nationale monégasque et de l’Hommage rendu conjointement au mythique Raoul Gunsbourg. Ce dernier, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo durant plus de cinquante ans, fut le premier à oser porter à la scène en février 1893 la légende dramatique du compositeur. Absente depuis 1969 en version scénique des planches monégasques, La Damnation de Faust bénéficie ici d’une mise en scène de Jean-Louis Grinda à la fois traditionnelle de forme, mais fort spectaculaire par les moyens humains et artistiques mobilisés et très proche effectivement du livret original.
Toute la largeur de la scène se trouve ainsi utilisée, l’orchestre pour sa part se trouvant encerclé d’un proscénium qui verra les déambulations tragiques du vieux Docteur Faust. Dans ce spectacle, Méphistophélès, sûr de lui-même et de ses sortilèges, mène l’action, donnant depuis la scène le signal implacable du départ.
Les différents tableaux se succèdent avec une rare cohérence, depuis les Plaines de Hongrie du début qui voient les paysans fêter avec joie et optimisme le printemps nouveau -avant d’être abattus par les soldats partant en guerre-, la vision paradisiaque entourant le Chant de la fête de Pâques, la taverne décadente de Leipzig, plus tard la maison de Marguerite qui se transforme à vue. L’apparition de la jeune femme s’inscrit dans un cercle immaculé de roses, à la manière d’une photographie en forme de carte postale 1900 retravaillée et volontairement kitsch inspirée du duo de plasticiens Pierre et Gilles.
La course vers l’abîme offre pour sa part une vision presque apocalyptique dans des couleurs fortes et sanglantes, Faust et Méphisto s’enfonçant dans les entrailles de la terre jusqu’aux enfers peuplés de cohortes infernales. Celles-ci se transforment au final en chœur des Séraphins, brandissant des croix lumineuses pour accompagner vers le ciel l’âme purifiée de Marguerite. Rudy Sabounghi a réalisé des décors de grande allure, fastueux et impressionnants, illuminés par les éclairages toujours pertinents de Laurent Castaingt, ainsi que par les créations vidéos et projections filmées de forme certes classiques, mais particulièrement efficaces dans ce contexte, de Julien Soulier et Gabriel Grinda. Les costumes créés par Jorge Jara se rattachent à la même veine et puisent dans la même inspiration. Le splendide costume de Méphisto notamment semble comme un hommage appuyé à la création scénique de l’ouvrage par Raoul Gunsbourg. Habit noir profond, cape rouge sang, cheveux roux et plume au chapeau, rien ne manque pour illustrer le personnage tel qu'il était alors conçu !
Les chorégraphies créées par Eugénie Andrin, apparaissent plus ou moins abouties, en retrait en particulier dans le ballet des Sylphes un peu timide. Mais dans l’évocation des Follets et des esprits des flammes inconstantes devant la maison de Marguerite, la démarche est avérée. De jeunes ballerines habillées de tutus romantiques s’exerçant à la barre sont ensuite comme possédées sous l’action funeste de Méphisto devenu maître de ballet. Il les transforme en créatures étranges et malfaisantes.
Ce spectacle marque les débuts du ténor Pene Pati dans le rôle-titre. La voix longue et sonore se déploie sans aucun effort, ductile et lumineuse de timbre. La ligne vocale offre des moments de grands raffinements poétiques et la prononciation de la langue française constitue un exemple, fruit d’un travail acharné. L’aigu s’envole sans aucune problématique et rayonne avec éclat. Il confère au double personnage incarné -Faust âgé et Faust jeune-, une identité forte et posée. Son Invocation à la nature, sommet vocal de l’œuvre, ardente et maitrisée, confirme et augure une nouvelle fois des possibilités qu’il peut déployer dans le répertoire lyrique français.
Nicolas Courjal connaît son Méphistophélès dans tous ses méandres et ses roublardises. Il se délecte tout particulièrement dans cette mise en scène qui le met au centre du propos. Très à l’aise au plan scénique, il campe un personnage tournoyant et justement maléfique. Le matériau vocal sombre et inquiétant exprime toute la puissance et l’histrionisme du personnage.
Annoncée souffrante, Aude Extrémo habite pour autant vocalement le rôle de Marguerite (qu'elle prend également) avec les puissantes sonorités de son mezzo-soprano, appuyant quelque peu les parties plus profondes et déployant un aigu plein d’ardeur. Mais cette ligne de chant surtout large et intensive, passe à côté des raffinements ici souhaités et donne de la jeune Marguerite un portrait sans réelles nuances, sans évolution psychologique. Et malheureusement, la diction reste vague sinon bien peu compréhensible, surtout par rapport à ses partenaires présents.
La soprano issue du chœur Galia Bakalov fait valoir en "voix céleste" un beau legato et un engagement certain dans le Pandémonium final. La basse Frédéric Caton campe un Brander vocalement ferme et investi dans un rôle qu’il a bien fréquenté, y compris lors de la version concertante de l’ouvrage présentée en décembre 2019 à l’occasion du 150ème anniversaire de la disparition d’Hector Berlioz.
Kazuki Yamada dirigeait déjà alors l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Face au déploiement scénique, sa direction musicale paraît moins probante et convaincue, comme par moment un peu tétanisée. Longue à se mettre en place, elle s’affirme un peu plus dans la Marche Hongroise, pour ensuite s’atténuer. Le tonus indispensable pour mettre pleinement en valeur cette partition grandiose fait défaut en ce soir de première, comptant même des décalages avec certains solistes et surtout les chœurs. Renforcé pour l’occasion par des effectifs supplémentaires, celui de l’Opéra de Monte-Carlo dirigé par Stefano Visconti s’avère néanmoins exemplaire de tenue et d’implication, déployant toute une palette de couleurs inspirées. Le Chœur d’enfants de l’Académie de musique Rainier III, préparé par Bruno Habert, vient justement s’illustrer en appui de ses aînés.
Cette Damnation de Faust vient clore en beauté la période de direction de Jean-Louis Grinda (avant Lakmé de Léo Delibes présentée à l’Auditorium Rainier III le mois prochain en version concertante avec Sabine Devieilhe, Cyrille Dubois et Lionel Lhote sous la baguette de Laurent Campellone, donné ensuite au Théâtre des Champs-Elysées). Le public monégasque fait un triomphe au spectacle et tout particulièrement à Pene Pati.
Le Grimaldi Forum Monaco accueille jusqu’au dimanche 27 novembre une fort intéressante exposition consacrée à Raoul Gunsbourg. Entre archives photographiques, costumes dont le manteau de Chaliapine dans Ivan le Terrible, affiches et programmes, précieuses partitions dédicacées par Massenet ou Saint-Saëns issues en particulier des pièces conservées au Palais Princier, l’itinéraire artistique de Gunsbourg mais aussi personnel du personnage (avec l’évocation du fameux procès antisémite qui l’a opposé à l’écrivain et journaliste d’extrême droite Léon Daudet) est ici évoqué avec son lot de créations lyriques mémorables jusqu’à L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Colette ou L’Aiglon d’Arthur Honegger et Jacques Ibert.