À l'Opéra de Clermont-Ferrand, des jeunes talents comme à la maison
"Romantique", tel est le nom donné à ce récital de gala où sont convoqués Verdi, Rossini et Bellini, avec ici des compositions certes moins populaires que leurs plus fameux airs d'opéra, mais non moins charmantes. Ce programme est confié à trois lauréats du Concours international de chant dont la finale s'était tenue in loco à l'été 2021 (notre compte-rendu).
La brésilienne Beatriz Baptista y avait notamment glané un engagement pour un récital, et c'est elle qui a les honneurs du premier passage sur scène aux côtés de la "coach" et accompagnatrice Susan Manoff. Cette première confrontation avec le public du soir génère sans doute un trac qui, chez Bellini ("Almen se non poss'io") puis Verdi ( "Nell'orror di notte oscura"), donne à entendre une voix de soprano comme timorée et chevrotante, en tout cas pas dans les standards de ce qui avait pu être entendu et largement applaudi lors du concours de l'été 2021. L'envie de bien faire est indéniable et le regard comme la gestuelle traduisent une évidente volonté de jouer la carte de l'expressivité, mais les mélancoliques tonalités de ces mélodies peinent ici à se faire tout à fait saisissantes. Mais peu à peu l'outil vocal se libère, les nuances se creusent un peu plus, et les attaques se font bien plus assurées à l'heure d'aborder l'interprétation de "La Zingara" de Verdi. Les traits guillerets de cet air sont servis par des aigus émis et déployés avec conviction, l'artiste semblant plus à son aise dans ce répertoire aux teintes plus joyeuses. Des teintes enjouées qui sont aussi celles des trois chansons de la Regata Veneziana de Rossini, où la chanteuse parvient à pleinement débrider la projection d'un instrument qui se fait soudain bien plus sonore et richement timbré, avec une interprète taquine et joueuse dont la libération vocale s'accompagne de généreux mouvements de bras et de jambes. Une libération bienvenue mais qui intervient au moment, déjà, de céder la place au prochain invité du soir.
Et d'emblée, Alexey Birkus aimante l'attention par ce charisme vocal qui avait déjà fait mouche lors du concours clermontois, lui permettant notamment de décrocher le rôle de Rodolfo dans une production onirique de La Sonnambula (notre compte-rendu). Pour Bellini ("Dolente immagine di Fille mia", un air popularisé par nombre de ténors) comme pour Donizetti ("E Morta!"), l'artiste biélorusse dévoile une voix de basse pleine d'autorité et de profondeur d'émission, d'où s'étirent depuis un medium creusé des graves d'une éloquente ténébrosité. Mains sur la poitrine puis jetées en avant, regard grave comme habité par le tourment, le chanteur se fait un conteur captivant dans un italien de bonne facture, la noblesse d'émission se faisant tout aussi brillante dans "L'Ultimo ricordo" de Rossini. Un hymne à la mélancolie venant précéder un air bien plus joyeux, la fameuse Danza, tarentelle ici servie par tout l'entrain attendu, avec un phrasé aussi vif que bondissant et des "frinche frinche" d'une sonore générosité. Manivelle en mains sous sa Cadillac au Youkounkoun, Louis de Funès n'aurait pas renié telle performance.
Vient ensuite celle qui se présente sans doute comme la tête d'affiche de la soirée : la soprano russe Julia Muzychenko, qui a il est vrai laissé un mémorable souvenir au public local tant lors du concours qu'en poignante Amina en début d'année. Et c'est à nouveau Bellini que la jeune artiste vient ici honorer, déployant d'emblée toute la sensibilité et le raffinement de son timbre dans "Ricordanza" chanté mains déployées en avant comme pour mieux toucher un public aimanté. Les mélodies jouant sur le charme donnent lieu à d'autres instants suspendus, où la voix se fait plus aérienne, avec des aigus solaires qui savent aussi se faire, à mi-voix, d'une douceur toute cotonneuse. Là, comme dans les airs suivants, l'artiste n'est plus simplement interprète : elle se fait tragédienne, habitant ses rôles avec toute la conviction requise, yeux fermés ou exorbités et voix sonore mais toujours contrôlée dans sa vibrante et ample émission. Elle est aussi tout à son aise chez Rossini, où la fraîcheur de sa voix s'allie avec un jeu tout en frivolité et en candeur propre à conclure ce récital romantique sur une touche de légèreté bienvenue. Ce badinage est renforcé par le duo (ici devenu trio) des chats offrant aux trois vedettes de la soirée de pouvoir faire montre d'une joviale complicité.
Un bis "au poil", donc, dans lequel l'accompagnatrice Susan Manoff trouve elle aussi une ultime occasion de faire entendre son jeu tout en technique et dynamisme. De son piano se dégage aussi bien la joie que le tourment, à renfort de notes ici plus appuyées, là davantage suspendues et effacées, mais toujours en symbiose avec les artistes accompagnés. De jeunes talents qui récoltent finalement de chaleureux applaudissements, comme une invitation à vite venir se produire à nouveau au pied des volcans.